jeudi 6 novembre 2014

Combien de redoublants dans les années 60 ? (Pedro Cordoba)

Pedro Cordoba : "Les experts, c’est comme les journalistes : ils se lisent entre eux. Et tout ce qui dérange ce prêt-à-penser idéologique est frappé d’invisibilité.
Eric Charbonnier est expert éducation à l’OCDE, responsable de l’enquête PISA pour la France. Il tient un blog ici-même, invité par la rédaction du Monde, et commentait récemment les taux de redoublement dans les pays de l’OCDE tels qu’ils apparaissent dans la dernière enquête PISA. Revenant sur l’école primaire des années 1960, objet d'exécration pour tous les experts qui expertisent à tour de bras, il affirme que 50% des élèves de CM2 avaient déjà redoublé au moins une fois. Horreur ! Ah, qu’ils étaient méchants les instituteurs d’autrefois avant la glorieuse invention des IUFM ! Condamner la moitié des élèves au « retard scolaire » avec les conséquences catastrophiques que cela entraîne au niveau de « l’estime de soi », les zigouiller sans pitié, et tout ça parce qu’ils se plantaient sur l’accord du participe passé avec le verbe « avoir », faut-il qu’ils aient eu le cœur dur comme la pierre, ces instits, on se demande comment il n’y avait pas plus de suicides à 11 ans, salauds d’instits ! Heureusement on a fait beaucoup de progrès depuis cette période particulièrement sombre de notre histoire. On en est aujourd’hui à 18% de redoublants. C’est encore beaucoup trop, bien sûr. Il faut arriver à l’idéal de 0%. Et comme aurait dit le père Ubu, vive la Finlande, car s’il n’y avait pas de Finlande il n’y aurait pas de Finlandais.
D’où vient ce chiffre ?" 

Lire la suite sur le blog Expertisons les experts de Pedro Cordoba (Association Reconstruire l'école).

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L'histoire de l'éducation sur le blog : 
articles présentés sur le blog au 06/11/2004 : 
Bonod Loys, Mauvaise lecture ! L’historien Antoine Prost et l’apprentissage de la lecture au XXe siècle (2013)
Bulle Nathalie, Une erreur malencontreuse, retards scolaires et réformisme éducatif des années soixante-dix (2012)
Cohen, L'enfance au coeur : Marie et Pauline, deux pionnères de l'école maternelle (2006)
Delord Michel, "Connaissances en français et en calcul des élèves des années 20 et d'aujourd'hui", Bilan partagé ?
Delord Michel, Note technique sur la "massification" (2004)
Delord Michel, "Seuls 10 % d'une classe d'âge allaient en sixième"
Delord Michel, Marchandisation et décentralisation de l'éducation (l'influence de l'OCDE sur les politiques éducatives nationales de 1950 à nos jours)
Gutierrez Laurent, Histoire du mouvement de l'Éducation Nouvelle en France (1899-1939)
Jacolino Pierre, L'analyse grammaticale, exercice des ânes ? (février 2014)
Jacolino Pierre, En 1957, le niveau montait (avril 2014)
Jacolino Pierre, Lavisse est-il désuet ? (février 2014)
Jacolino Pierre, Peut-on (encore) enseigner l'histoire par l'observation ? (2013)
Jacolino Pierre, Nos grands-parents ne savaient-ils pas lire ? Réponse critique à l'historien Antoine Prost. (2013)
Savoie Pierre, "Quelle histoire pour le certificat d’études ?"

archive :

Pedro Cordoba sur http://www.neoprofs.org/t83524p40-lieux-communs-de-la-pedagogie-innovante#2790471

Une histoire attentive aux taux de scolarisation en France tout au long du XIXème siècle montre que les lois-Ferry ont eu un impact très inférieur à ce qu'on imagine. En 1882, la très grande majorité des petits français allait déjà à l'école et la courbe s'est simplement poursuivie sur sa lancée antérieure (tout commence avec les lois-Guizot) jusqu'en 1914. 

La vérité, c'est que la grande "nouveauté" des lois-Ferry se situe au niveau symbolique : les deux principes (gratuite et obligatoire) frappent les imaginaires. Or les mythes ont un grand effet sur la réalité. Bien plus grand que la plupart des faits "réels". A partir de Ferry, les français se sont passionnés pour l'école - et cela dure jusqu'à aujourd'hui. C'est aussi la "passion" qui a animé les "hussards noirs" donnant naissance à un autre mythe, lui aussi très réel. Et ainsi de suite.

Cette "mythification" de "l'école de Jules Ferry" a évidemment aussi des inconvénients, surtout depuis que les pédagogistes en ont fait le symbole du mal absolu : l'école qui exclut. Et l'argument du Ferry colonialiste est sans cesse mis en avant. Or l'école de Jules Ferry n'est pas l'école de Jules Ferry. Ce dernier n'a été ministre de l'éducation que très peu de temps - pas plus d'un an si mes souvenirs sont bons. Un Benoit Hamon de l'époque, pour ainsi dire! Juste le temps de faire voter ces lois symboliques et de partir... aux colonies justement. Bref, comme quelqu'un d'autre l'a rappelé plus haut, l'école de Jules Ferry est en vérité celle de Ferdinand Buisson, qui n'avait rien d'un colonialiste ni d'un tyran opprimant le peuple. Et c'est avec la pédagogie-Buisson que s'est lentement opérée la jonction du mythe et de la réalité.


Handsome Devil a écrit:Il y a de quoi alimenter le Meirieutron en phrases toutes faites...

Je me suis pris à lire un certain nombre d'articles du dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson (dispo en ligne et téléchargeable en PDF), et le contraste est saisissant par rapport au discours prédigéré (régurgité ?) de l'institution. Et pas en faveur des "innovants". A mon avis une lecture nécessaire pour tout professionnel de l'EN en devenir.

Doctor Who : 
Une association pédagogique qui se réclame de Buisson, le GRIP : http://www.instruire.fr

L'article fondateur qui établit cette filiation : http://www.slecc.fr/buisson.htm

On peut dire ce qu'on veut de Ferry, mais les lois de 1880 sont tout de même difficilement attaquables. Et il faut le louer au moins pour une chose : avoir mis justement Buisson à la tête de l'école primaire.
....
Et je le répète, les principes pédagogiques sur lesquels l'école primaire a été créée étaient très bons dès le départ. Perfectibles et amendables sans doute (Freinet et l'Education nouvelle ont eu et ont encore des choses à dire : l'histoire pédagogique ne s'est pas arrêtée en 1923), mal ou peu appliqués dans bien des écoles et par bien des maîtres, peut-être : mais leur rejet dans les années 60 fut une grande erreur.

Marmont : Sans accès de nostalgie - j'ai pas connu... - ni de troubles conservateurs, je partage ton point de vue.
Sauf qu'on te répondra que cette école s'arrêtait à 13 ans et qu'après, la suite était réservée à l'élite de la société (c'est cette forme de "discrimination" sociale devant l'instruction qui fait aussi passer Ferry pour un "pourri" chez certains) 
Doctor Who :
A 13 ans ou avant, d'ailleurs, le Certificat de Fin d'Etude étant le sésame pour arrêter plus tôt, si l'on pouvait prouver qu'on avait le niveau suffisant. 

Mais ce n'est pas Ferry qui a fait que les familles désiraient des études courtes pour leurs enfants. La brièveté du cursus primaire est avant tout un problème de demande, et non d'offre. L'existence d'une frange importante de "capables non intégrés" semble permettre d'affirmer cela. 
Je renvoie à mon petit article : http://pedagoj.eklablog.com/en-1957-le-niveau-montait-a107701266

Les études s'allongent quand la demande d'études plus longues augmente, après la 2e guerre mondiale, avec les "Trente glorieuses" (avec un premier coup de boutoir en 1836 : l'allongement à 14 ans, la fin du certif comme "permis d'arrêter plus tôt" et la création des classes de fin d'étude).

Pedro Cordoba : 
D'accord avec la mise au point de docteur who.

- L'école "de Jules Ferry" n'excluait personne. Si beaucoup d'élèves s'arrêtaient après l'école élémentaire, ce n'est pas parce qu'on (qui?) ne voulait pas que les "fils de pauvres" aillent plus loin dans leurs études. La faible proportion d'élèves en sixième s'explique par le choix des familles. Choix tout à fait rationnel, comme toujours. Car même le certif était inutile pour la plupart des boulots. Une partie importante de ceux qui l'obtenaient n'en faisaient rien du tout : ils encadraient le diplôme et l'accrochaient au-dessus de leur cheminée. Beaucoup donc passaient le certif juste pour montrer qu'ils étaient "cultivés". Quant à entrer en sixième classique, avec du latin et du grec, la plupart des parents pensaient qu'ils n’étaient absolument pas concernés par cette "offre", bonne pour des extra-terrestres.

- Dans l'école "de Jules Ferry", l'obligation scolaire s'arrêtait à 12 ans. C''est en 1936 que Jean Zay la porte à 13 ans puis après-guerre qu'elle passe à 14 ans.

Il convient cependant d'ajouter que cette prolongation de la scolarité obligatoire n'a pas eu que des effets positifs. Car ceux qui, pour une raison ou pour une autre, se trouvaient dans le système primaire après l'âge de 11-12 ans avaient beaucoup plus de mal à rejoindre le système secondaire, la sixième ayant toujours commencé à 11 ans. 

Un deuxième aspect des choses, qui contrebalance le premier et que tous les contempteurs de l'école "de Jules Ferry" oublient systématiquement est l'existence d'une filière post-élémentaire à l'intérieur même du système primaire. On a tendance aujourd'hui à confondre élémentaire et primaire et à projeter cette synonymie dans le passé. On rate ainsi un pan entier, et qui plus est absolument décisif, dans l'éducation des classes populaires dans l'entre-deux guerres. L'école primaire se prolongeait, bien après "l'âge du certif" et jusqu'aux ENS de Saint-Cloud et Fontenay, qui appartenaient donc au système primaire : peuplées par des fils ou des petit-fils d'ouvriers et de paysans alors que leur recrutement est aujourd'hui aussi bourgeois qu'à la rue d'Ulm : c'est ce qu'on appelle "progrès de la démocratisation".

Ne pas oublier donc l'existence de ces "collèges du peuple" - titre d'un livre excellent de Briand et Chapoulie dont je ne saurais trop recommander la lecture : cours complémentaires, EPS, ENI, possibilité de rejoindre les lycées en seconde et, comme je le disais à l'instant, ENS de Fontenay et de Saint-Cloud. Ce sont ces "collèges du peuple" qui accueillaient une partie fort importante de ces soi-disant "exclus" par le "pourri" de Ferry : beaucoup plus du double que les "fils de bourgeois" et les "quelques boursiers-alibi" scolarisés dans le secondaire dans les années 30.

A défaut du livre de Chapoulie, on peu en lire le compte-rendu par JP Terrail sur Persée :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1994_num_35_4_4361

retraitée a écrit:Il me semble d'ailleurs que les ENS que vous citez formaient les professeurs exerçant dans les Écoles Normales d'instituteurs.
Oui, tout à fait exact. C'est bien pourquoi le primaire formait un ordre d'enseignement par lui-même, fonctionnant d'une certaine façon en vase clos : les anciens élèves des ENS formaient les professeurs des ENI qui formaient les instituteurs qui instruisaient les élèves, qui à leur tout pouvaient devenir élèves des ENS - en nombre réduit bien sûr mais pas plus réduit que celui des élèves de la rue d'Ulm et de Sèvres. Cette "étanchéité" des deux systèmes n'empêchait pas les points de passage de l'un à l'autre, en particulier en sixième et en seconde, ni l'accès des élèves du primaire à l'enseignement supérieur (dans des proportions restreintes il est vrai). Mais il faut surtout, lorsqu'on parle de l'école "de Jules Ferry" se défaire de l'idée, propre au système actuel, d'une succession entre le primaire et le secondaire. Le primaire va au-delà du bac et le secondaire commence avant la sixième dans les "petites classes des lycées" (onzième, dixième, etc.). Ce sont deux réseaux parallèles, socialement discriminés, entre autres raisons parce que le secondaire était payant dès la onzième, mais aussi "élitistes" l'un que l'autre au niveau intellectuel. La plupart de ceux qui vouent aux gémonies "Ferry-le pourri" sont probablement persuadés que les élèves du primaire étaient systématiquement éjectés après l'école élémentaire.






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