TABLE DES MATIERES.
CHAPITRE PREMIER. -
DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE.
Des méthodes de lecture
a. L’ancienne méthode
b. La nouvelle méthode
c. La méthode phonique. —
L’enseignement simultané de la lecture et de l’écriture
La phonomimie
Les images.
Les tableaux muraux de récapitulation
Les composteurs
Les jeux de cartes-images
Les mérites des méthodes actuelles
Leurs défauts
Conclusion sur les méthodes de lecture.
La leçon de lecture
L’ancienne et la nouvelle manière de faire la leçon de
lecture
La leçon de lecture dans les trois cours (élémentaire,
moyen, supérieur)
Les livres de lecture
Les concours de lecture
Les bibliothèques scolaires
CHAPITRE II - DE L’ENSEIGNEMENT
DE L’ECRITURE.
L’écriture n’est pas en progrès.
Première cause : on y attache une moindre estime
qu’autrefois. Pourquoi ?
Deuxième cause : l’enseignement simultané a trop
remplacé l’enseignement individuel.
Troisième cause : les occasions de mal écrire sont devenues
plus fréquentes qu’autrefois.
Quatrième cause : l’anarchie dans les principes et les
méthodes.
Caractères que doit posséder l’écriture pour être bien
lisible.
L’écriture anglaise a des inconvénients.
L’écriture française et les écritures analogues. Ce qu’il
faut penser des critiques qu’on en fait.
Une intervention de l’autorité supérieure en la matière
serait justifiée.
Les ardoises.
Les cahiers préparés.
Le modèle au tableau noir et les modèles gravés mobiles.
Le modèle fait par le maître sous les yeux des élèves.
L’écriture au commandement.
Conclusion. Nécessité d’une réforme dans l’enseignement de
l’écriture et aussi dans les mœurs publiques.
CHAPITRE III. - DE L’ENSEIGNEMENT
DE LA LANGUE FRANÇAISE.
Ce qu’était l’enseignement de la langue française avant
1870.
L’instruction pédagogique du 20 août 1857.
La circulaire ministérielle du 7 octobre 1866.
L’organisation pédagogique de la Seine (1868). Les
instructions et directions de M. Gréard.
L’arrêté du 27 juillet 1882.
L’enseignement de la grammaire. La grammaire de Chapsal et
les grammaires nouvelles.
Les exercices d’application.
Les analyses grammaticales et logiques.
Les conjugaisons.
La dictée. Son importance exagérée dans les exercices
scolaires.
Ce que la dictée devrait être aux termes de l’instruction
ministérielle du 20 août 1857. Ce qu’elle est encore trop souvent.
Pratiques à encourager en ce qui concerne la dictée.
La composition française. Sa nouveauté.
La médiocrité des résultats qu’on constate. Ses causes.
Procédés défectueux.
Pratiques fécondes qui mériteraient d’être propagées.
La préparation orale du sujet.
La récitation classique.
Conclusion. Progrès marqué dans cette branche
d’enseignement. Un dernier desideratum.
ENSEIGNEMENT
DE LA LECTURE,
DE L’ÉCRITURE
ET DE LA LANGUE FRANÇAISE.
Pendant longtemps la lecture, l’écriture et l’orthographe
furent, avec le calcul, le fond et comme le tout de l’instruction primaire ;
mais les réformes introduites dans notre enseignement pendant ces vingt
dernières années ont considérablement élargi ce cadre primitif d’études. Dès
1867, l’histoire et la géographie y reprenaient officiellement une place que
leur avait réservée en fait la loi de 1833, mais que celle de 1850 ne leur
laissait qu’exceptionnellement et par tolérance. Puis sont venus la loi
organique de 1882, et plus tard le décret du 18 janvier 1887, qui substituaient
la langue française aux éléments de
la langue française dans l’énumération des matières que comprend l’instruction
primaire élémentaire, et qui y ajoutaient « les leçons de choses et les
premières notions scientifiques, principalement dans leur application à l’agriculture,
— les éléments du dessin, du chant et du travail manuel, — enfin les exercices
gymnastiques et militaires ». On laisse de côté les écoles primaires
supérieures qu’avait créées la loi de 1833, que la loi de 1850 avait supprimées
par omission, et qui ont été rétablies par celle de 1886 avec un programme singulièrement
plus large et mieux défini.
Cette extension des programmes a-t-elle nui aux matières
regardées jadis comme les seules essentielles et obligatoires, et notamment l’enseignement
de la lecture, de l’écriture et de la langue française a-t-il subi quelque réduction
du fait de ces accessions ? C’est ce qu’on se propose de rechercher ici. Sans
doute il sera difficile d’apporter des appréciations générales et précises tout
à la fois. Il y a bien des degrés et des nuances dans la force et la marche des
études primaires, quand on va du Nord au Midi, ou de l’Est à l’Ouest, et
souvent ce qui est vrai ici ne l’est pas là. C’est un coup d’œil d’ensemble
pourtant qu’on voudrait jeter sur la France entière ; mais ce sont des
impressions toutes personnelles, dues à une longue pratique de l’inspection s’exerçant
sur tous les points du pays, qu’on s’est proposé de retracer et de résumer dans
cette monographie. Nous prions qu’on veuille bien n’y pas chercher autre chose.
CHAPITRE PREMIER
DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE.
Des méthodes de lecture.
Avant tout, l’enfant doit apprendre à lire; or cette
étude n’est pas si facile qu’on le croit généralement. On s’en convaincra, si l’on
veut bien remarquer qu’apprendre à distinguer des sons et passer de ces sons
aux lettres qui les représentent sont chose toute nouvelle pour lui, qu’il y a
là un travail d’analyse et un effort de mémoire qui ne le sollicitent par aucun
attrait. Si encore il y avait autant de lettres qu’il y a de sons distincts, la
difficulté serait moins grande; mais d’une part il arrive qu’un même son est
représenté par des lettres différentes, et que les mêmes lettres par contre
représentent des sons différents; et d’autre part il y a des lettres qui tantôt
se prononcent et tantôt ne se prononcent pas. Quand la chose a été rendue
familière par l’habitude, elle paraît naturelle et facile; mais il n’en a pas
été ainsi au début. Ils le savent bien ceux qui sont voués par métier à cette
tâche ingrate d’apprendre les premiers éléments de la lecture aux enfants; et
comme d’ailleurs ceux-ci sont incapables d’aucun travail personnel tant qu’ils
n’ont pas triomphé de cette première difficulté, on s’explique que la question
des méthodes de lecture présente un intérêt tout particulier pour les maîtres
des écoles primaires et qu’ils ne cessent de rechercher les moyens les plus
prompts et les plus sûrs pour amener leurs élèves à la lecture courante.
Or, si on laisse de côté toutes les variétés de
détail, dues à l’imagination inventive de leurs auteurs, on trouve que les
méthodes de lecture pratiquées dans nos écoles primaires se ramènent à deux : l’ancienne
et la nouvelle.
a. L’ancienne méthode
L’ancienne, décorée
bien à tort du nom de méthode, car elle est l’absence même de méthode, consiste
à prendre un abécédaire, c’est-à-dire un recueil de lettres rangées dans un
ordre arbitraire que l’usage a consacré, mais qui n’a pour lui que son
antiquité, et à les faire apprendre successivement aux enfants; puis, quand ils
les savent, à les faire assembler en syllabes qui, mises à leur tour bout à
bout, constituent des mots et finalement des phrases. Le malheur est que, comme
les consonnes présentent un son tout autre quand on les appelle seules ou qu’on
les prononce réunies à des voyelles, il ne sert à rien pour la lecture de
connaître leurs noms. En réunissant les sons bé, o, enne et en les additionnant, on a béoenne, qui n’a rien de commun avec le
mot bon. Il en résulte que le travail
si pénible auquel on a contraint l’enfant pour lui faire apprendre le nom des
vingt-cinq lettres de l’alphabet et savoir les reconnaître, a été en pure perte
pour la lecture. Sans doute à force d’appeler les lettres, de les réunir et de
les assembler de cent manières différentes, il arrive, surtout si ces
assemblages correspondent à des mots qui lui sont familiers, à faire entre eux
et les sons qu’ils expriment des associations qui finissent par l’amener à
lire. Mais il ne lit pas, à proprement parler, il récite par cœur. L’intelligence
n’a pas présidé à ce travail, sa mémoire seule a fonctionné : de là son
embarras quand il lui faut lire des mots nouveaux ou des phrases qu’il n’a
jamais vues.
b. La nouvelle méthode
Les défectuosités de cette méthode sont connues depuis
longtemps. Elles avaient été signalées à Pascal dès 1655 par sa sœur
Jacqueline, chargée d’apprendre à lire aux petites écoles de Port-Royal, et il
avait posé les principes d’une autre méthode[i],
celle qui aujourd’hui encore, quoiqu’elle date de loin, on le voit, s’appelle
toujours la nouvelle méthode. Elle
diffère de l’ancienne en ce que les lettres y conservent, quand on les appelle
seules, un son aussi rapproché que possible de celui qu’elles ont quand elles sont
unies à des voyelles, Ainsi elle fait dire be,
de, me, je, se, re[1], etc., au lieu de bé, dé,
effe, emme, esse, erre, etc. De plus elle admet qu’on doit
prononcer d’une seule émission de voix tout ce qui est son simple, ce son s’exprimât-il
par plusieurs lettres, ph, ch, gn,
ill, pour les consonnes, — an, in,
on, un, ou, oi, etc., pour les voyelles, et que la
décomposition de la syllabe, quand décomposition il y a, doit se faire pour l’oreille
seulement et non pour les yeux; qu’on doit dire, par exemple, be, on,
bon ; che, a, cha, pe,
eau, peau, chapeau. Que cette
nouvelle méthode soit plus rationnelle que l’ancienne et qu’elle amène plus
vite et plus facilement les enfants à la lecture courante, c’est ce qui ne fait
plus question pour les maîtres qui n’ont pas de parti pris ou qui n’ont pas été
inféodés par une longue habitude à l’ancienne manière de faire. Cependant on
prétend que ce son e, ajouté
uniformément à toutes les consonnes, les différencie moins que l’ancienne appellation
et par suite que leur nom se retient moins facilement; d’autre part, qu’il y a
avantage, même pour la lecture, à appeler chaque lettre successivement, c’est-à-dire
à épeler; enfin, que si les élèves mettent un peu plus de temps pour apprendre
à lire, ils ne sont pas obligés plus tard d’étudier un second alphabet, puisque
pour l’épellation des dictées ils n’ont aucune raison de ne pas se servir de l’ancienne
appellation, et que le retard qu’ils éprouvent pour apprendre à lire est
largement compensé par la facilité plus grande qu’ils ont ensuite à retenir l’orthographe.
Cette question, avant 1870, devait partager à peu près tous les instituteurs
français en deux camps bien tranchés, et elle était de celles qui étaient
débattues avec le plus d’acharnement dans les conférences d’alors. Mais il
semble que les partisans de la nouvelle méthode aient depuis gagné du terrain d’année
en année et qu’ils fassent aujourd’hui l’immense majorité.
L’ancienne méthode a pourtant conservé des partisans :
il est tel département, dans la région de l’Ouest, où elle est toujours
préférée, même dans la ville chef-lieu, et c’est elle qu’on rencontre le plus
souvent encore dans les écoles congréganistes, surtout dans les écoles
congréganistes de garçons.
c. La méthode phonique. — L'enseignement simultané de la lecture et de l’écriture
On s’est demandé dans ces dernières années pourquoi Pascal
n’avait pas poussé plus avant; pourquoi, après avoir établi qu’il faut étudier
le son plutôt que sa représentation écrite, il n’avait pas posé en principe qu’il
convient de lire d’abord la syllabe d’une seule émission de voix, sauf à y remarquer
ensuite que, dans certains cas, un son simple pour l’oreille se représente
cependant aux yeux par plusieurs caractères écrits. Il eût ainsi tout d’abord
trouvé la méthode phonique, généralement
pratiquée au delà du Rhin et peu connue encore dans les écoles françaises. Il
faut signaler pourtant que la plupart des méthodes s’inspirent de ce principe
et que de plus, pour suppléer à ce qu’il pourrait avoir de défectueux au point
de vue de l’analyse, elles font marcher l’écriture de front avec la lecture[2].
Celle de M. Nézondet[3], par
exemple, fait d’abord prononcer les consonnes m, n, r, f, v, etc., unies à des
voyelles, en une seule émission de voix : chaque consonne est exprimée par l’espèce
de sifflement ou de roulement qui lui est propre et on l’unit immédiatement à
la voyelle. C’est seulement ensuite que la syllabe est décomposée en ses deux
éléments oraux (articulation et voix); puis, en ses éléments écrits (consonnes
et voyelles).
Il en est de même de la méthode Régimbeau[4]. «Pas
d’épellation comme procédé d’enseignement pour la lecture, dit M. Régimbeau;
mais épellation après la leçon de lecture pour l’orthographe, Alors l’épellation
doit être littérale et se faire, non en partant des lettres pour remonter aux
syllabes et au mot, mais au contraire en partant du mot lu d’abord couramment,
pour descendre aux syllabes et aux lettres. Soit à épeler les syllabes ba, bi,
bo, etc.; l’élève dira : ba, b,
a ; bi, b, i ; bo,
b, o, etc. Soit le mot solitude;
l’élève fera entendre : so, li, tu,
de ; puis il dira : so, s,
o ; li, l, i ; tu,
t, u ; de, d, e,
sans répéter le mot après l’épellation. Si nous repoussons l’épellation comme
procédé d’enseignement pour la lecture, nous l’admettons au contraire comme
moyen analytique pour l’orthographe. » De même on fait d’abord prononcer à
l’enfant an, in, on, un, d’une seule émission de voix, et c’est
seulement ensuite, quand on lui fait écrire ce qu’il vient de lire, qu’on lui
fait remarquer que chacun de ces sons, quoique un et simple, se représente
cependant par deux caractères, par deux lettres.
Au fond, c’est un accident purement graphique qui fait
qu’on emploie parfois plusieurs lettres en français quand une seule aurait
suffi, puisque d’autres langues que la langue française expriment par une seule
lettre ce que la pauvreté de notre alphabet nous force de représenter par
plusieurs : le ph et le ch, par exemple, qui étaient représentés en grec par un
φ et un χ ; le gn, qui en
espagnol s’écrit ñ ; l’u, qui en
allemand et en italien se prononce quelquefois ou, etc.[5]
Dès lors il importe assez peu qu’on donne aux lettres
leur ancien nom ou leur nom nouveau, puisque l’élève a déjà lu la syllabe quand
il en étudie les éléments, et les partisans de la nouvelle méthode n’ont plus
aucune bonne raison pour ne pas laisser aux lettres leur ancien nom. Comme, d’autre
part, l’enfant est forcé, pour écrire la syllabe après l’avoir lue, de
remarquer quelles sont les lettres qui la représentent, ainsi que l’ordre dans
lequel elles sont rangées, on ne voit pas en quoi cette manière de procéder
serait inférieure pour l’orthographe à l’ancienne épellation.
La méthode phonique, quand elle mène de front la lecture et l’écriture, concilierait
ainsi les partisans de l’ancienne et de la nouvelle méthode. Aux partisans de l’ancienne
elle accorde que les élèves n’apprendront qu’une fois le nom des lettres, leur
nom usuel, et que, grâce à l’écriture, chaque lettre sera étudiée isolément par
l’enfant; elle parle donc aux yeux en même temps qu’à l’oreille et prépare à l’étude
de l’orthographe. Aux partisans de la nouvelle elle accorde que les élèves ne
seront plus forcés, pour apprendre à lire, d’apprendre d’abord à nommer les
lettres, puisque cette connaissance ne les aide en rien pour la lecture, et qu’ils
ne décomposeront plus par l’épellation ce qui ne présente à l’oreille qu’un son
simple et indécomposable. Il semble bien que ce soit là aujourd’hui la
véritable orientation de l’enseignement primaire sur cette question qui a son
importance, quoique élémentaire. Mais le progrès s’accomplit lentement et il
faudra un long temps encore pour que cette pratique s’établisse sans conteste.
La phonomimie.
A côté de cette question de principe, en quelque
sorte, et toute philosophique, il y a lieu de signaler les moyens, vraiment
ingénieux parfois, imaginés pour rendre plus facile et plus attrayante cette
étude des premiers éléments de la lecture. C’est d’abord le procédé phonomimique, imaginé par M.
Gosselin en 1861 et propagé ensuite par Pape-Carpantier. Il consiste à joindre
à chaque son un geste qui le rappelle et en devient l’équivalent. L’enfant, par
suite, doit accomplir un double travail, puisqu’il ne lui suffit plus de
retenir seulement le signe écrit, mais qu’il lui faut encore retenir le signe
mimique qui correspond à ce signe écrit et avoir reconnu, le rapport plus ou
moins naturel qui les unit. Mais c’est l’histoire de tous les procédés mnémoniques,
par lesquels nous associons à une chose qui nous est familière et que nous nous
rappelons sans effort une autre chose que nous ignorons et que nous voulons
nous rappeler: quoiqu’il y ait double travail, il peut se faire, grâce à cette
association, que l’effort de la mémoire soit moindre. La phonomimie n’a donc,
au point de vue de la lecture, que la valeur d’un procédé mnémotechnique, et
comme sa marche est fort lente, on ne voit pas qu’elle puisse procurer un
avantage bien considérable. Mais elle donne satisfaction à ce besoin de mouvement
qui est si impérieux dans le jeune âge; elle répand dans la classe l’animation
et la vie et se prête très bien à l’enseignement collectif ; enfin elle permet,
au besoin, à des sourds-muets de participer aux exercices des
entendants-parlants. Ce sont toutes ces raisons sans doute qui l’ont fait
adopter dans certaines écoles maternelles, là où l’on n’est pas forcé d’aller
vite, et qui font qu’elle s’y maintient encore. Cependant elle ne gagne pas de
terrain et il y a bien peu d’écoles primaires où elle soit en usage. En somme,
c’est une distraction qui peut se mêler avec avantage aux exercices toujours
arides de la première lecture ; mais ce n’est pas, ce ne peut être une méthode
de lecture.
Les images.
On peut en dire autant des images, qui presque toujours
aujourd’hui sont jointes aux premiers exercices de lecture.
La gravure représente un objet connu des enfants : on
le leur fait regarder et reconnaître; on leur fait dire son nom et l’on tire de
ce nom nettement prononcé un son particulier (articulation ou voix) qu’on leur
fait prononcer isolément. Soit une carafe pour leur faire retenir le son de l’f, un bâton pour leur faire retenir le
son on, etc. Mais ici encore il n’y a
qu’un procédé mnémonique destiné à faire retrouver le nom de la lettre qu’on
veut apprendre, en la liant à un mot familier, connu, dans lequel elle se trouve
comprise. Comme la phonomimie d’ailleurs, cette pratique peut donner de l’attrait
aux leçons monotones et sèches de la seule lecture.
Les tableaux muraux de récapitulation.
Indépendamment des tableaux de lecture appendus à la muraille,
autour desquels on a coutume de grouper les enfants et des livrets dans
lesquels chaque élève retrouve en caractères réduits ce que le tableau lui a
présenté en gros caractères, on a édité des Tableaux
muraux de récapitulation, grâce auxquels le maître peut faire à des élèves
de forces différentes des leçons collectives, variées et intéressantes. Le plus
souvent les voyelles y sont représentées en caractères rouges et les consonnes
en caractères noirs (méthode Néel). Le maître les montre successivement avec sa
baguette et fait le simulacre de les réunir, pour former tel assemblage qu’il
veut obtenir. Mais cette réunion est toujours quelque peu factice, puisqu’elle
résulte uniquement de ce que le maître porte successivement sa baguette sur l’un
et l’autre caractère. Pour rendre cette réunion plus sensible et plus
effective, certains auteurs ont imaginé des tableaux où toutes les consonnes se
trouvant figurées sur une colonne verticale fixe, on fait glisser, soit à
droite, soit à gauche, un ruban (méthode Maître, librairie Hachette), ou une
planchette (méthode Gervais, librairie Hachette), portant toutes les voyelles,
ce qui permet de former à volonté toutes les syllabes directes ou inverses. D’autres
ont tout simplement imaginé d’avoir des cartons mobiles dont chacun représente
un des éléments contenus au tableau mural. A l’aide d’une baguette terminée par
une fourche ou une pince, dans laquelle on introduit le carton mobile, on porte
successivement, tantôt une consonne auprès de toutes les voyelles, tantôt une voyelle
auprès de toutes les consonnes (méthode Chéron,
librairie
Delagrave ; méthode Noël, librairie Gédalge, etc.), et de cette façon encore on
obtient à volonté la formation de toutes les syllabes directes ou inverses,
composées d’éléments monogrammes ou polygrammes.
Les composteurs.
Pour occuper matériellement les enfants en même temps qu’on
s’adresse à leur intelligence et à leur mémoire, on se sert encore de composteurs. Ce sont généralement de
petits morceaux de bois ou de carton, sur chacun desquels est gravée une lettre
ou un ensemble de lettres représentant un son unique : l’enfant les prend dans
un casier et les place sur une sorte de petit pupitre disposé ad hoc, pour former les mots et même les
petites phrases qu’on lui demande de composer (casiers Thollois, libr.
Delagrave). On conçoit que ce composteur se prête également bien à l’étude des
premiers éléments de l’orthographe. Après lui avoir fait composer : une porte, des portes, et lui avoir montré que le pluriel se marque dans les
noms par l’addition d’un s, on peut
lui faire composer : Pierre chante, Pierre et Paul chantent, où il verra que
le pluriel se marque, au présent de l’indicatif des verbes, par l’addition d’un
n et d’un t.
Les jeux de cartes-images.
Enfin, pour transformer le plus possible en amusement cette
étude des premiers éléments de la lecture, certains ont imaginé de véritables
jeux, semblables à des jeux de cartes
(M. X., instituteur à Marseille). Chaque carte porte une image représentant
quelque chose qui soit connu de l’élève : des bœufs qui pâturent, par exemple,
et aux quatre coins de la carte, les quatre formes du b : le B imprimé
majuscule, le b imprimé minuscule ; le B
majuscule en écriture cursive et le b
minuscule également eu écriture cursive. L’élève, qui manipule ses cartes pour
trouver les lettres qui doivent entrer dans la composition d’un mot, se
familiarise avec leurs formes diverses et ne tarde pas à se les graver dans la
mémoire, tout en se jouant. Il semble toutefois que ce procédé doive mieux
convenir pour l’éducation particulière d’un enfant à qui l’on apprend ses
lettres tout en l’amusant, que pour l’enseignement collectif de l’école. Mais il
n’y a là, pas plus que dans tous les procédés énumérés plus haut, aucune
méthode nouvelle : ce ne sont que des moyens plus ou moins ingénieux, plus ou
moins commodes pour amener toutes les lettres de l’alphabet sous les yeux de l’enfant,
lui apprendre à les reconnaître, à en retenir la forme et le nom. Ils prouvent
surtout la grande préoccupation qu’ont les maîtres de faciliter cette étude à l’enfant,
et sinon de la lui rendre attrayante, au moins de lui enlever son aridité et l’ennui
que forcément elle engendre.
Les mérites des méthodes actuelles.
Les principes de la méthode une fois adoptés, il reste
à la composer, et ici encore les différentes manières de procéder peuvent
donner lieu à des différences notables entre une méthode et une autre méthode,
fondées toutes deux sur le même principe.
Un mérite que toutes les méthodes nouvelles s’attribuent,
et qu’elles possèdent en effet à des degrés divers, mérite par lequel en tout
cas elles tranchent sur toutes les anciennes méthodes, c’est qu’elles n’attendent
pas, pour faire lire à l’enfant des mots connus, qu’il ait parcouru l’alphabet
tout entier ni qu’il ait épuisé toute la série des difficultés que présente l’étude
des lettres. Quelques leçons seulement suffisent pour qu’on puisse lui faire lire
d’abord et décomposer ensuite des mots comme papa, pipe, ami, et des phrases comme papa fume sa pipe, Caroline a sali sa robe. Et s’il pouvait s’étonner autrefois qu’on
le félicitât de savoir ses lettres, puisque cette connaissance ne le conduisait
nullement à la lecture, on ne peut disconvenir qu’il doit au contraire se
trouver singulièrement encouragé, quand il peut ainsi constater que ses efforts
sont déjà couronnés de succès. Chaque leçon amenant quelques éléments nouveaux,
on arrive vite à des combinaisons de plus en plus variées, contenant des mots
qui sont dans son vocabulaire usuel et qu’il est heureux de retrouver.
Un second mérite que s’attribuent également tous les
faiseurs de méthodes nouvelles consiste dans une gradation bien ménagée de
toutes les difficultés qu’offre la lecture. Mais ici on comprend que l’ordre
dans lequel on fait apprendre les lettres doit varier suivant le point de vue particulier
auquel se place chaque auteur. Les uns classent les lettres d’après la facilité
plus ou moins grande avec laquelle l’enfant prononce le son qu’elles expriment (M.
Magnat, par exemple) ; d’autres, se plaçant surtout au point de vue phonique,
préfèrent commencer par les consonnes sur lesquelles la voix peut se maintenir
un certain temps : sssse...,
rrrre..., ffffe…, v, m, n, l,
etc.; d’autres encore, se préoccupant de graduer les difficultés de l’écriture,
qu’ils veulent mener de front avec la lecture, commencent par l’i et par le groupe de lettres qui en
dérivent : u, t, n, m, etc., pour continuer par c, o,
d, etc., s’ils font de l’écriture
cursive; par I, L, T, F, E, A, V, etc., qui sont formées de lignes droites, s’ils
veulent familiariser d’abord leurs élèves avec la connaissance des majuscules
(M. Carré, Méthode de langage, libr.
Colin). Au fond, l’ordre dans lequel sont étudiés ces premiers éléments importe
assez peu. Ce qui importe davantage, c’est que les difficultés soient successives
et progressives ; c’est, par exemple, qu’on étudie d’abord les voyelles et les
consonnes qui se représentent par une seule lettre, puis celles qui se
représentent par plusieurs lettres, puis les consonnes doubles : pl, bl,
cl, str, etc., et les syllabes inverses ab, oc, our, etc. ; enfin les équivalents et les
lettres nulles. C’est une préoccupation dont la marque apparaît dans toutes les
méthodes nouvelles.
Les défauts des méthodes actuelles.
Par contre, un défaut qui est commun aussi à toutes
les méthodes, quoique pourtant il ne soit pas également accentué dans toutes, c’est
d’employer dès l’abord des mots correspondant à des choses que l’enfant ne
connaît pas, à des idées abstraites ou même concrètes qu’il ne peut avoir
encore et que souvent même il n’aura jamais : azote, toxique, thoracique, métaphore, bambou, opportun, zodiaque, etc.; c’est aussi de combiner des suites de mots qui ont
la prétention de former des phrases, mais qui n’ont pour lui aucun sens : le casino sera réparé samedi (qu’est-ce
qu’un casino? pourquoi sera-t-il réparé samedi, plutôt qu’un autre jour ?) ; butine à la rive ; butine ta parole à la gare (!) ; devine la vérité du poème ; je
ranime la mule (quelle mule?). Mieux vaut évidemment se contenter de faire
lire des mots isolés, jusqu’à ce que le nombre en soit suffisant pour pouvoir
exprimer des choses familières à l’enfant.
Un autre défaut encore, c’est de vouloir faire
apprendre, dans des tableaux préparés ad
hoc, toutes les irrégularités qui ne s’apprennent que par la pratique et
par l’usage, et de retarder d’autant l’exercice bien autrement intéressant et utile
de la lecture courante dans des livres faciles. De là ces séries de trente
tableaux et plus que l’élève doit parcourir avant d’aborder la lecture dans les
livres, et qui amènent le maître à former autant de groupes qu’il y a de forces
différentes chez ses élèves, perdant ainsi tout le bénéfice de l’enseignement
collectif. C’est au tableau noir que le maître doit expliquer et résoudre les
difficultés, à mesure qu’elles se présentent : les élèves apportent alors à la
démonstration qui leur est faite une attention toute particulière et se
souviennent mieux de ce qui leur a été dit. Outre que certaines de ces
difficultés ne peuvent se résoudre que par le sens de la phrase : ainsi « ne
soyez pas si fier », et « il ne
faut pas s’y fier « ; « c’est le père
avec ses fils » et « des fils de soie ». Ici, il faut comprendre
pour bien prononcer.
Conclusion sur les méthodes de lecture.
En résumé, un travail considérable s’est fait sur cette
humble matière depuis vingt ans; la question a été mieux étudiée, elle est
mieux comprise : l’enseignement de la lecture est devenu plus rationnel, plus
éducatif; et d’autre part, il conduit plus rapidement et plus sûrement l’élève
au but, qui est la lecture courante; en y joignant l’enseignement de l’écriture
et même de l’orthographe, on le rend plus varié et plus intéressant ; par l’emploi
des tableaux muraux, qui permettent des leçons collectives, on donne à
celles-ci plus d’animation et de vie ; par les images enfin dont on a coutume d’illustrer
les méthodes, on mêle l’agrément à une étude qui, par elle-même, ne peut être
qu’aride et ennuyeuse pour des enfants.
Peut-être même cette préoccupation de l’agrément
est-elle excessive aujourd’hui. A force de vouloir simplifier cette étude et la
rendre intéressante, on oublie son véritable objet. Ainsi les gravures dont on
orne les livrets peuvent certainement aider à retenir les lettres ; mais il ne faudrait
pas que l’explication de l’image remplaçât la leçon. De même il est bon que l’enfant
comprenne tout ce qu’il lit ; mais il ne faut pas que l’explication de chaque
mot se change en une leçon de choses. Ainsi en est-il encore de l’écriture. On
peut certainement utiliser au profit de la lecture le goût qu’ont les enfants
pour crayonner et dessiner ; mais il faut pourtant que l’écriture ici reste l’accessoire.
Ses difficultés n’étant pas les mômes que celles de la lecture, on ne peut
obtenir une gradation unique, qui convienne à la fois aux nécessités de l’une
et de l’autre, et force est de laisser à l’écriture sa leçon spéciale. Donc, qu’on
cherche à simplifier les moyens d’apprendre à lire aux enfants et à leur épargner
la peine ; qu’on répande dans toute cette étude de la variété et de l’intérêt,
et surtout qu’on fasse souvent la leçon au tableau noir pour provoquer la
surprise et raviver l’attention par des exemples bien choisis, rien de mieux. Mais
qu’on procède toujours logiquement, parce qu’il importe de faire contracter
tout d’abord de bonnes habitudes ; qu’on ne confonde pas des procédés
accessoires plus ou moins ingénieux avec les principes mêmes de la méthode ;
enfin, qu’on n’espère pas dispenser l’élève de tout effort personnel.
La leçon de lecture.
L’enfant lit : c’est quelque chose, c’est beaucoup;
mais ce n’est pas tout. Il faut lui apprendre maintenant à bien lire. C’est l’objet de la leçon de lecture proprement dite.
L'ancienne et la nouvelle manière de faire la leçon de lecture.
Or il y a deux manières de faire la leçon de lecture dans
nos écoles primaires. Ici le maître met entre les mains des élèves un livre
quelconque, qui souvent doit leur servir pendant toute la durée de leur
scolarité. On commence par le commencement; on reprend chaque jour à l’endroit
où l’on s’est arrêté la veille; tous les élèves lisent à tour de rôle les uns à
la suite des autres, dans l’ordre dans lequel ils sont placés aux tables ; le
maître relève surtout les fautes matérielles, les omissions de liaisons. Que l’enfant
comprenne ou non ce qu’il lit, c’est un peu accessoire ; qu’il lise naturellement,
avec l’intonation convenable, on n’en a cure. Il ne fait que de la lecture
mécanique ; il déchiffre un texte. Au conseil de révision il saura lire, ce ne
sera pas un illettré.
Ailleurs, le maître a des livres de lecture appropriés
à ses différents cours. Encore ne se croit-il pas obligé d’y faire lire tout.
Il choisit avec soin le morceau qui doit faire l’objet de chaque leçon ; il le
circonscrit: vingt lignes au plus dans le cours élémentaire, trente lignes dans
le cours moyen. Tous les mots difficiles sont expliqués ; chaque phrase est reprise
autant de fois qu’il est nécessaire pour qu’on arrive à la bien dire. Les
suspensions, les pauses, qui montrent qu’on comprend et qui font comprendre
celui qui écoute, sont l’objet d’une attention particulière. On essaie de lire
naturellement, avec le ton qui convient au sujet. C’est la lecture intelligente.
Si maintenant nous disions que la première manière était
la manière générale avant 1870, tandis que la seconde est celle qui a le plus
de faveur aujourd’hui, nous ne serions pas bien loin de la vérité. Sans doute
il y avait autrefois des maîtres intelligents qui suivaient d’autres errements
que la masse et l’on trouverait encore aujourd’hui bien des maîtres esclaves de
la routine, qui ne connaissent guère d’autre lecture que la lecture mécanique.
Mais il s’agit ici de l’orientation générale. Il conviendrait encore d’ajouter
que tous les maîtres non plus ne se partagent pas nécessairement entre ces deux
catégories si tranchées et que beaucoup d’entre eux oscillent entre ces deux
pôles, se rapprochant de l’un ou de l’autre, suivant qu’ils sont plus
intelligents ou plus routiniers, plus zélés ou plus apathiques.
La leçon de lecture dans les trois cours (élémentaire, moyen, supérieur).
Il est à remarquer en outre que, là où la leçon de
lecture se fait bien, elle varie encore suivant les différents cours de notre
organisation pédagogique. Une pratique bien répandue aujourd’hui est celle qui
consiste à faire lire tous les élèves simultanément, au moins dans le cours
élémentaire. Voici en quoi elle consiste :
« Les élèves commencent par lire tous à la fois, en
détachant les syllabes, en les scandant pour ainsi dire, mais sans aucune
intonation particulière. Le maître lit avec eux, surtout dans les premiers
temps; il marque la mesure et conduit le chœur en quelque sorte. Ce qu’il tâche
alors d’obtenir presque uniquement, c’est l’articulation, la prononciation nette
et distincte de chaque son. Ce qui importe pour le moment, ce n’est pas que l’élève
comprenne, mais qu’il reconnaisse vite les lettres et qu’il retrouve les sons qu’elles
représentent ; c’est aussi qu’il articule bien, qu’il ne laisse dans le texte rien
qui n’ait été prononcé purement et correctement.
« Le maître, ensuite, explique le texte; il s’assure,
par des interrogations, que ce texte est compris dans son en-emble et dans ses
détails.
« Il le lit alors lui-même avec l’intonation
convenable, d’une manière accentuée et intelligente, qui fasse sentir aux élèves
ce que la lecture mécanique ne leur aurait pas suffisamment fait comprendre.
«Tous les élèves, ou, s’ils sont trop nombreux, les élèves
de chaque table, à tour de rôle, lisent ensemble, avec intonation cette fois,
phrase par phrase, alinéa par alinéa. On leur fait répéter chaque phrase autant
de fois qu’il est nécessaire pour qu’ils arrivent à la bien lire.
« Enfin, dans la crainte que certains élèves ne s’habituent
trop à être soutenus par leurs camarades et à se contenter de les suivre, on en
fait lire quelques-uns, à tour de rôle, individuellement. »
Les avantages de cette manière de procéder sont
incontestables ; elle permet de faire lire tous
les élèves tous les jours ; elle les
occupe tous, ce qui rend la
discipline facile ; elle répand dans toute
la classe l’animation et la vie, etc. Cependant, si elle est excellente, quand
elle est bien pratiquée, elle n’aboutit, quand elle est mal entendue, qu’à une
affreuse cacophonie. Ici les conseils ne suffisent pas; il faut avoir vu bien
faire et avoir pratiqué soi-même pour bien faire. C’est un des exercices de
conférence pratique les plus utiles qu’on puisse recommander.
Au cours moyen,
le but de la leçon de lecture n’est plus le même. Ce qu’on y vise surtout, c’est
la lecture intelligente, accentuée, faite avec l’intonation convenable. La manière
de faire varie en conséquence.
« Le maître commence par lire lui-même le morceau qui fait
l’objet de la leçon.
« Il explique ou fait expliquer par les élèves le sens
des mots et des phrases.
« Il fait lire les élèves à tour de rôle,
individuellement. Il les reprend quand ils lisent mal et fait recommencer la même
phrase plusieurs fois, si c’est nécessaire, par un élève, puis par un autre,
jusqu’à ce qu’elle ait été bien lue.
« Il résume et fait résumer le morceau de vive voix et
en tire les divers enseignements qu’il comporte, au point de vue de l’instruction
des élèves, au point de vue de la composition, au point de vue de la leçon
morale qui en peut ressortir. »
Arrivés au cours
supérieur, les élèves doivent savoir lire. La leçon de lecture n’a d’autre
but que de perfectionner ce qui a été fait dans le cours moyen. Elle a pour
principal objet d’accroître leur instruction et de leur inspirer le goût de la
lecture personnelle.
Des livres de lecture.
Parmi les causes qui ont le plus contribué au progrès
de la lecture dans nos écoles, il faut signaler l’apparition d’un grand nombre
de livres spécialement composés pour cet objet et adaptés au développement intellectuel
des différents cours (élémentaire, moyen et supérieur), entre lesquels se
répartissent aujourd’hui tous les élèves qui fréquentent nos écoles primaires.
Le temps n’est pas encore bien éloigné où les livres
les plus répandus, pour la leçon de lecture, ceux qu’on trouvait presque uniquement
entre les mains des élèves, dans un grand nombre d’écoles, étaient la Doctrine chrétienne et la Journée du chrétien, qui répondaient
peut-être à l’objet spécial qu’avaient en vue ceux qui les avaient composés, l’instruction
religieuse, mais qui étaient bien dépourvus d’intérêt pour des enfants et bien
peu propres à éveiller, ainsi qu’à développer toutes leurs facultés. C’étaient
encore, pour les commençants, les petits livres de Delapalme, également empreints
d’un esprit religieux très prononcé et dont la vogue a insensiblement baissé
depuis 1870 ; ceux de Paul Dupont, très pratiques, mais un peu vulgaires, qui
ont vieilli et qu’on ne rencontre plus guère. C’était aussi, pour les élèves plus
avancés, la Morale pratique de
Barrau, livre instructif, mais dont certains traits supposaient, pour être
compris, des connaissances historiques que n’avaient pas les élèves, que n’avaient
pas toujours les maîtres eux-mêmes, et les Lectures
de Lebrun, où se trouvait plus de variété que d’agrément ou d’intérêt[6].
Enfin on lisait aussi dans les Lectures scientifiques
de Garrigues et Boulet de Monvel, dans des livres d’agriculture, dans des
livres quelconques. Qu’importait le livre après tout, du moment où l’on n’avait
en vue que la lecture matérielle ? Autant eût valu se servir de livres latins ;
et de fait, la lecture du Psautier marchait de front avec la lecture du
français. Le latin avait au moins l’avantage d’être plus facile pour les
commençants, parce que, comme on le disait jadis, « nous le prononçons plus
comme il est écrit que le français ».
Il était naturel que la rénovation qui s’accomplissait
suscitât des ouvrages nouveaux, qui fussent plus en harmonie avec les
préoccupations du jour. Des esprits supérieurs, des professeurs du haut
enseignement, cédant à ce courant de sympathie qui se manifestait partout en faveur
de l’instruction primaire, ne crurent pas déroger en consacrant leur talent à
la composition de livres de lecture pour les écoliers : les uns ostensiblement,
les autres sous le couvert d’un anonymat qui n’est plus un mystère pour personne.
Parmi ceux auxquels leur objet plus général procura
une vogue universelle, il faut citer les Bruno, de la librairie Belin (le Livre de l’enfant, le Livre de l’adolescent, le Tour
de France et Francinet), qui
forment une série complète; le Caumont
de la librairie Delagrave, qui, outre sa partie générale, renferme des lectures
géographiques appropriées à chaque département; la Première année de lecture, par Guyau, à la librairie Armand Colin,
etc.
D’autres ont composé des recueils de morceaux choisis
empruntés à nos meilleurs écrivains et arrangés en vue du but spécial qu’ils se
proposaient : Les livres de l’école,
par Lebaigue, à la librairie Belin.
Au livre de l’élève on joignit un livre du maître. D’aucuns
l’ont regretté et se sont demandé si l’on ne dispensait pas trop le maître de
tout travail personnel. Mais peut-être n’ont-ils pas réfléchi que le temps et
les livres à consulter font souvent défaut au maître de nos écoles primaires et
qu’on peut lui faciliter sa tâche, sans que sa leçon en devienne pour cela
moins intéressante ou sa classe moins vivante.
La question se débat aujourd’hui de savoir s’il vaut
mieux pour les élèves des récits suivis ou des lectures détachées. Il est
certain qu’un récit suivi, comme dans Francinet
ou le Tour de France, présente tout d’abord
plus d’intérêt à l’enfant, qui suit ses personnages dans toutes les péripéties
par lesquelles ils passent. Mais cet intérêt n’existe, dit-on, qu’à la première
lecture ; à tout le moins diminue-t-il beaucoup à la répétition ; et si cet
attrait est nécessaire aux livres de la bibliothèque scolaire, à ceux que l’enfant
doit lire seul et qu’en général il ne lit guère qu’une fois, il semble que des
lectures détachées, dont chacune a un objet bien défini, conviennent mieux pour
la leçon de lecture faite en classe et se prêtent davantage à ces instructions
multiples que comprend le programme de l’enseignement primaire.
Quoi qu’il en soit, il y a eu sur la matière une
production abondante ct variée, et les maîtres n’ont vraiment aujourd’hui que l’embarras
du choix parmi les publications que leur offrent les grandes librairies
parisiennes.
Ils en usent largement, du reste, et l’on trouve même beaucoup
d’écoles où ces livres, achetés toujours en nombre suffisant pour que chaque
élève puisse avoir le sien, sont la propriété de l’école elle-même, Au moment
de la leçon, le maître les remet aux élèves ; la leçon terminée, il les
resserre avec soin dans sa bibliothèque, Ces collections, s’augmentant d’année
en année, finissent par constituer, au grand profit des élèves, un fonds d’instruction
riche et aussi varié qu’on peut le désirer. Mais on trouve aussi des maîtres
qui, soit faute d’argent, soit peut-être aussi faute de savoir en demander,
soit enfin parce qu’ils ne sont pas bien convaincus de la nécessité d’un livre
spécial pour la seconde lecture, se contentent de faire lire dans le premier livre
venu, le livre d’histoire, de morale, ou de sciences naturelles le plus
généralement.
Peut-être ont-ils entendu dire qu’il fallait toujours,
quand on le peut, et joindre ensemble deux utilités», et pensent-ils que la
leçon de lecture n’en vaudra pas moins si, en outre, elle apprend à l’élève des
choses qu’il lui faut étudier d’ailleurs. L’intention est louable assurément;
mais il faut prendre garde que l’accessoire ne prenne la place du principal.
Quand la leçon de lecture se fait dans le livre d’histoire ou de sciences, il
arrive d’abord que le sujet manque bien un peu d’intérêt et que la lecture se
prête moins aux intonations variées par lesquelles se manifeste la diversité
des sentiments ; mais surtout le maître est forcément amené, s’il veut que l’élève
comprenne ce qu’il lit, à donner des explications de toutes sortes qui
absorbent le temps de la leçon. Celle-ci devient alors une leçon d’histoire ou
do science ; mais ce n’est plus une leçon de lecture.
Des concours de lecture.
Il s’était attaché, il y a quelques années, une telle
faveur aux exercices de lecture (est-ce une conséquence de la constitution
démocratique de notre société et de la nécessité où chacun peut se trouver d’avoir
à s’exprimer en public ?), que dans certains départements (la
Charente-Inférieure, l’Yonne, la Somme, etc.) on avait institué des concours de
lecture entre les élèves des écoles primaires. Des prix étaient décernés à ceux
qui lisaient le mieux dans une épreuve publique. Certains inspecteurs ont été
émerveillés des résultats que cette institution avait produits. Il n’y a pas
lieu de s’en étonner pourtant. Ou obtient des enfants tout ce qu’on veut. Le
jour où les maîtres et les pouvoirs publics manifestent une sympathie
particulière pour une matière d’enseignement, il s’y fait immédiatement de
rapides progrès. Ainsi en a-t-il été, toutes les fois qu’on y a tenu la main,
et de l’écriture et du dessin, et de la géographie, et de la gymnastique, etc.
Il n’est peut-être pas à désirer que ces encouragements se généralisent, ni
même qu’ils se continuent là où ils existent encore. Ces progrès particuliers
pour la lecture ne seraient obtenus qu’au prix de sacrifices consentis sur d’autres
matières qui ont aussi leur importance. Il y a une épreuve spéciale pour la
lecture dans l’examen oral du certificat d’études; elle est largement
suffisante, si elle est bien faite[7], pour
que les intérêts de la lecture ne soient pas sacrifiés et que cet enseignement
donne tous les résultats qu’on est en droit d’en attendre.
Des bibliothèques scolaires.
Mais une pratique qui est encourager, ce sont les
lectures faites individuellement par les élèves en dehors des classes et dont
ils ont à rendre compte en présence de leurs camarades ; ce sont aussi les lectures
que les enfants font dans la famille, à haute voix, de livres empruntés à la
bibliothèque scolaire, choisis par l’instituteur et appropriés aux goûts comme
aux besoins de ceux à qui ils sont prêtés; ce sont enfin ces associations d’anciens
élèves, fondées en vue d’entretenir et d’accroître le fond des bibliothèques
qui ont servi à leur première instruction. En apprenant à l’enfant à lire, l’école
lui met dans les mains un outil, avec la manière de s’en servir. C’est à lui d’en
user après sa sortie de l’école pour compléter et perfectionner son instruction
personnelle d’abord, pour propager ensuite autour de lui les connaissances qui
sont comme en dépôt dans la bibliothèque scolaire. Outre que l’Etat ne peut
continuer à alimenter de ses dons ces foyers de lumière qu’il a allumés dans
les plus petites communes, on peut espérer que les anciens élèves de l’école
seront des lecteurs d’autant plus assidus, qu’ils contribueront de leur argent
à entretenir et à augmenter le fond qui leur aura été transmis par les
générations qui les auront précédés.
CHAPITRE II - DE L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCRITURE.
L’écriture n’est pas en progrès.
L’écriture n’est pas en progrès ; il semble même qu’elle
soit plutôt en décadence. Non pas qu’il n’y ait encore des écoles où l’on
écrive bien et même très bien ; mais elles sont moins nombreuses qu’autrefois.
Il y a surtout moins de maîtres qui soient fiers, et à juste titre, de leur
belle écriture. Dans les écoles normales notamment, cette infériorité est
frappante : d’où l’on pourrait inférer, sans grande témérité, que loin de s’améliorer,
la situation à cet égard ira plutôt en empirant.
Cet état de choses est dû à bien des causes :
Première cause : on y attache une moindre estime qu'autrefois. Pourquoi ?
1° Le mouvement actuel de la pédagogie, et il ne faut pas
le regretter, est surtout favorable aux études qui ont pour objet la culture de
l’esprit. On célèbre, on exalte les exercices qui tendent à la formation de l’intelligence
; on déprécie par contre l’enseignement mécanique et formel, qui ne donne que
des connaissances positives et pratiques. Or écrire est un acte tout matériel;
c’est dessiner, c’est peindre, uniquement en vue d’obtenir une ressemblance. Il
n’y a rien là qui puisse éveiller l’esprit ni le former. Par suite, il s’est
attaché à l’écriture une sorte de déconsidération, à tout le moins de moindre estime. Ceci est particulièrement
vrai des écoles normales, et des écoles normales de filles plus encore que des
écoles normales de garçons. On n’y choisit point, pour lui confier l’enseignement
de l’écriture, le maître qui a le plus de goût ou d’aptitude pour cet enseignement;
mais on en charge celui qui est le moins capable d’enseigner autre chose. Nous
admettrons toutes les exceptions qu’on voudra ; mais le fait dans sa généralité
est incontestable. De là, à tous les degrés de l’échelle, un moindre soin donné
à l’écriture, et, dans les écoles primaires, un moindre temps consacré à cet
exercice; ce qui s’alliait fort bien, du reste, avec l’obligation où l’on était
d’en donner davantage aux autres matières du programme.
Deuxième cause : l'enseignement simultané a trop remplacé l'enseignement individuel.
2° On a substitué en écriture, comme dans toutes les autres
branches du programme, l’enseignement collectif à l’enseignement individuel, et,
d’une manière générale, on a bien fait. Peut-être pourtant l’application du
principe comportait-elle ici quelque restriction. L’expérience montre, en
effet, qu’il ne suffit pas d’apprendre à l’enfant ce qu’il lui faut savoir pour
bien écrire, mais qu’il a besoin encore de pratiquer sous les yeux du maître et
d’être averti des fautes dans lesquelles il tombe. Apprendre à écrire, c’est contracter
un ensemble d’habitudes ; or on sait que l’habitude a pour effet de nous faire
accomplir toujours de la même manière, et sans que nous y prenions garde, ce
que nous avons déjà accompli un grand nombre de fois. Si donc un enfant a pris
en écrivant de mauvaises habitudes (et elles sont nombreuses celles auxquelles
il peut se laisser aller), il retombera indéfiniment dans les mêmes fautes et
formera toujours mal les mêmes lettres, jusqu’à ce que le maître l’arrête en
lui faisant remarquer ce que son écriture a de défectueux, et jusqu’à ce que,
par une surveillance assidue et prolongée, il soit parvenu à lui faire contracter
une habitude contraire. L’action personnelle du maître est ici indispensable
pour chaque élève, et la leçon commune a besoin d’être journellement complétée
par des corrections et des remontrances individuelles.
Troisième cause : les occasions de mal écrire sont devenues plus fréquentes qu'autrefois.
3° Les occasions de mal écrire sont devenues plus
fréquentes qu’autrefois. Dans les écoles primaires, on n’inflige plus de
punitions corporelles : elles sont interdites par le règlement ; mais en
revanche on donne des pensums. S’ils étaient courts et si le maître exigeait qu’ils
fussent bien faits, ils pourraient dans une certaine mesure remplacer les mises
au net d’autrefois, qui ne sont pas à regretter, mais qui amélioraient l’écriture
courante. Seulement il faudrait alors les corriger et le maître n’en a pas le
temps ni n’en veut prendre la peine. D’autre part, il est toujours difficile de
prouver à un élève qu’il aurait pu mieux écrire, et l’on trouve plus commode de
vérifier si le pensum a le nombre de lignes qu’il doit avoir. Or rien n’est
plus propre à déformer la main de l’enfant et à lui faire contracter de mauvaises
habitudes, que la confection de ces longues pages où il ne songe qu’à aller
vite et à arriver le plus tôt possible à la fin de sa tâche. Il en est de même
presque de ces devoirs qui sont faits en dehors de la classe, à la maison, sans
aucune direction ni surveillance, que les maîtres regardent à peine et pour
lesquels il n’y a en classe qu’une correction générale. Enfin, dans les écoles normales,
l’habitude est aujourd’hui que les maîtres, sur chaque matière, fassent des
leçons orales et que les élèves prennent des notes. Or on sait ce que c’est que
« prendre des notes ». Pour beaucoup d’élèves, c’est tâcher de prendre mot pour
mot ce que dit le maître, c’est-à-dire écrire le plus vite possible et avoir
recours à toutes sortes de simplifications et d’abréviations qui puissent
remplacer en partie la sténographie. Il n’y a pas de bonne écriture qui puisse
tenir à ce régime : forcément elle se déforme et la main prend de mauvaises habitudes.
Il en résulte qu’on sait encore faire une page à main posée, le jour de l’examen,
parce que c’est un exercice tout autre ; mais l’écriture courante reste
mauvaise. Autrefois, la plupart des maîtres rédigeaient leur cours; les élèves
les copiaient à main posée et à loisir, et ils mettaient leur amour-propre à
avoir sur chaque matière de beaux cahiers bien écrits, qu’ils gardaient avec
soin. Il n’y a pas à regretter que cette pratique ait entièrement disparu, mais
l’écriture courante y a certainement perdu.
Quatrième cause : l'anarchie dans les principes et les méthodes.
4° Enfin, tandis que dans toutes les autres matières
il y a des principes sur lesquels on est d’accord, il règne en écriture une
grande incertitude, et sur le genre qu’il convient d’adopter, et sur la manière
dont il faut l’enseigner. Sans doute les méthodes ne manquent pas et presque
toutes débutent par le calque, la pente, la longueur et la distance des
lettres, pour finir par des modèles à imiter. Toutes aussi ont la prétention d’être
méthodiques et de commencer par ce qu’il y a de plus simple, pour arriver
progressivement à ce qu’il y a de plus compliqué et de plus difficile : d’abord
le jambage, le trait droit, qui mène à l’i
et au groupe des lettres qui en dérivent, u,
t, n, m, etc. ; puis les
traits arrondis et les lettres ovales, c,
o, a, d, q, etc. ; puis les lettres bouclées l, b,
g, etc. ; avec des règles pour
la grandeur des boucles et les corps d’écriture ; enfin elles portent généralement,
sur la couverture des Cahiers préparés à l’usage des élèves, des conseils
relatifs à la tenue du corps, du cahier et de la plume. Malheureusement, il n’y
a sur aucun de ces points rien qui soit uniforme ni bien défini. Pas de vues
générales, pas de principes fixes sur lesquels on puisse s’appuyer pour
déterminer le caractère de l’écriture réputée la meilleure. Chacun suit son
idée personnelle, qui n’est le plus souvent qu’un pur caprice.
Rien de plus variable, par exemple, que la pente qu’on
doit lui donner. Dans Werdet, à qui nous devons le plus ancien type de l’écriture
anglaise, la pente est la diagonale d’un rectangle ayant 3 de base et 4 de
hauteur. Chez Taiclet, Taupier, Colombol, etc., qui sont venus après et qui
sans doute la trouvaient insuffisante, elle devient la diagonale du carré. Flament,
au contraire, la trouve trop grande et n’en fait que la diagonale d’un rectangle
qui aurait toujours 3 de base, comme dans Werdet, mais 5 de haut au lieu de 4.
Puis viennent les hygiénistes qui demandent, non sans raison, que l’écriture
soit droite et qu’elle se rapproche le plus possible des caractères imprimés.
Or cette question de la pente a son importance. A mesure qu’elle augmente en
effet, les rondeurs diminuent, et les liaisons, au lieu de partir du milieu du
jambage, par exemple, partent du pied même du jambage. Alors l’écriture devient
plus rapide, mais elle est moins lisible. Si l’on joint à cela les variations
que chacun peut faire subir à une même lettre, les deux formes qu’on lui donne
parfois selon qu’elle est au milieu ou à la fin d’un mot, les fioritures et les
enjolivements de toute nature imaginés par les caprices individuels, on
conviendra sans doute qu’il règne en la matière l’anarchie la plus complète.
Pour n’en citer qu’un exemple, qu’on veuille bien
seulement remarquer les formes du d. Il y a déjà deux formes généralement
admises, selon qu’on écrit l’anglaise ou l’ancienne coulée reprise par M.
Flament, d et ; mais pour peu que le d de l’anglaise s’écrive vite et que le jambage se sépare de l’o, il devient une sorte d’ majuscule. Quant à l’autre forme du , qui doit avoir sa boucle à gauche, l’habitude
se propage depuis quelques années, surtout dans les écoles de filles, de la
faire à droite. Rien à coup sûr ne s’oppose à ce qu’elle se fasse à droite aussi
bien qu’à gauche, puisque les Grecs la faisaient à droite dans leur delta, δ ;
mais il faudrait alors que tout le monde la fît à droite. D’autres la font bien
à gauche, mais ils la font double, à deux étages superposés,. Des observations analogues seraient à faire
sur le t, sur l’s, sur l’x, sur l’f, sur le point qui surmonte l’i et qu’on fait en forme de fouet . Quand une lettre peut s’écrire de deux ou
trois manières différentes, ce n’est plus une lettre, mais deux ou trois lettres
qu’il faut apprendre pour représenter le même son, sans compter que plus les
formes des lettres se diversifient, moins l’écriture devient lisible et
compréhensible.
Caractères que doit posséder l’écriture pour être bien lisible.
Serait-il donc si difficile de bien définir l’objet qu’on
doit se proposer en écrivant ? On n’écrit, ce semble, que pour matérialiser en
quelque sorte et fixer le son fugitif de la parole, pour le rendre
transmissible à travers le temps et l’espace ; en d’autres termes, on n’écrit
que pour être lu. Dès lors la meilleure écriture n’est-elle pas tout simplement
celle qui est la plus lisible ? Or les caractères qui peuvent rendre l’écriture
lisible ne paraissent pas bien difficiles à déterminer.
Il faut d’abord qu’elle soit suffisamment grosse, pour ne pas fatiguer les yeux.
Ce point est de première importance : il n’y a pas de beauté ni d’élégance qui
puisse compenser les inconvénients d’une écriture microscopique.
Il faut ensuite que chaque lettre soit bien formée et bien arrondie. Si les boucles sont remplacées par des traits, les vides
par des pleins, des lettres tout entières par de simples points, il n’y a plus
d’écriture, à proprement parler. C’est de la sténographie hiéroglyphique,
imaginée par le caprice d’un individu et dont il impose la fastidieuse étude à
ceux qui sont obligés de le lire.
Que ces deux conditions soient remplies et l’écriture
sera lisible. Si de plus elle garde
toujours entre les lettres une juste proportion, au point de vue de leur
grandeur, des intervalles qui les séparent, de la pente à leur donner, elle sera
régulière.
Si enfin elle n’admet ni fioritures, ni enjolivements
propres seulement à l’embrouiller, elle sera nette et correcte ; elle
aura dans sa simplicité même sa principale beauté.
Ne rien
omettre en écrivant de ce qui peut contribuer à rendre l’écriture lisible ; n’y
rien ajouter qui soit inutile et de pur ornement. Telle est la double règle dont les faiseurs de
méthodes ne devraient jamais se départir. L’écriture, au moins à l’école primaire
élémentaire, n’est pas une œuvre d’art ; elle doit être une peinture des sons
aussi exacte que possible ; tout ce qu’on lui demande en plus est du luxe et du
superflu.
L'écriture anglaise a des inconvénients.
L’écriture anglaise, dont l’usage est devenu général
dans ces derniers temps, ne satisfait certainement pas à toutes ces conditions.
N’étant guère qu’une suite de renflements et de déliés, elle exige qu’on l’écrive
posément. Pour peu qu’on se hâte, les pleins disparaissent et se confondent
avec les déliés. Elle ne comporte ni précipitation, ni fatigue de la main. Elle
convient peu, par suite, aux gens de lettres, aux élèves, qui sont toujours
pressés, aux commerçants, aux personnes enfin, quelles qu’elles soient, qui ont
beaucoup à écrire et qui écrivent pour être lues. Elle ne convient pas
davantage aux ouvriers d’industrie ni aux cultivateurs : elle exige trop de
délicatesse pour des mains qui viennent de manier la bêche, le marteau ou le
rabot. Enfin sa plume, à pointe fine, s’émousse vite ; et quand une fois elle
est fatiguée, elle glisse mal, ne se prête plus aux renflements, ni aux déliés.
Si l’on se presse alors, ce qui arrive forcément dans l’écriture expédiée, on
fait du griffonnage et des pattes de mouche. Or l’anglaise, élégante et légère de
sa nature, n’admet pas la médiocrité.
L'écriture française et les écritures analogues. Ce qu'il faut penser des critiques qu'on en fait.
C’est pour toutes ces raisons qu’on a cherché de nos jours
un autre genre d’écriture, l’écriture dite française
(sans doute parce qu’elle se rapproche davantage de celle de nos pères), et
dont l’écriture Flament est peut-être le type le plus caractérisé. Elle
conserve de l’anglaise ce que celle-ci a de plus simple, pour le combiner avec
ce que la bâtarde et l’ancienne coulée ont de plus expéditif et de moins
contourné. Tout ce qui est jambage, devant avoir un plein uniforme de haut en
bas, s’obtient par une simple traînée de la plume posée bien en face du papier,
sans aucune pression des doigts ; le délié se fait par une pousse oblique de
gauche à droite, qui fait plus ou moins passer les deux becs de la plume l’un
sur l’autre, au lieu de les avancer parallèlement, comme pour former les
pleins. Mais on lui reproche à son tour de s’écrire plus lentement : ce qui
semblerait naturel, le mouvement de la main qui trace une courbe pouvant être
plus rapide qu’un mouvement anguleux qui nécessite un changement plus brusque
de direction. Ou pourrait répondre que ceux des élèves de nos écoles primaires
qui auront plus tard besoin d’écrire vite sont le petit nombre, et que si l’on
ne peut arriver à écrire vite qu’en écrivant mal, il faut renoncer à écrire
vite. — On dit encore qu’elle est lourde et n’a rien de féminin ; mais combien
d’enfants, dans nos écoles primaires, aussi bien parmi les filles que parmi les
garçons, devront n’aspirer qu’à écrire lisiblement ! — Enfin elle n’est pas,
dit-on, appréciée des commerçants, parce qu’elle est impersonnelle. Dans les
écoles où elle est bien enseignée, en effet, tous les élèves ont, à s’y méprendre,
la même écriture, plus ou moins correcte et plus ou moins belle, selon qu’ils l’écrivent
plus ou moins bien. Mais ceci est vrai, à l’école primaire, de tous les genres
d’écriture : partout où le maître professe réellement, tous les élèves ont une
même écriture, la sienne. Cette personnalité, ce n’est pas le genre d’écriture
qui la donne. C’est plus tard, à mesure qu’on acquiert des idées personnelles
et qu’on se fait son caractère, qu’on modifie son écriture et qu’on se fait son
écriture à soi. Seulement, si les premières habitudes prises ont été bonnes, l’écriture
reste lisible et c’est ce qui importe. L’écriture commerciale est d’ailleurs un
genre à part, qu’il faut apprendre dans des écoles spéciales, ou tout au moins
à l’école primaire supérieure et dans les cours complémentaires. L’école
primaire élémentaire ne peut avoir la prétention de former des commerçants, ni
même des écrivains.
Une intervention de l'autorité supérieure en la matière serait justifiée.
En somme, on convient que l’écriture française,
imitation plus ou moins libre de la bâtarde et de l’ancienne coulée, ou toute
autre écriture analogue, est plus lisible, qu’elle admet moins le caprice et
les ornements inutiles. Elle est donc plus rationnelle, plus pratique, et c’est
pour cela qu’elle devrait être préférée dans les écoles primaires. Qu’on y
apporte encore toutes les modifications qui peuvent contribuer à la rendre plus
rapide et plus lisible, et elle aura toute la perfection qu’on peut demander à
l’écriture courante. A cet égard, on se demande vraiment si une intervention de
l’autorité supérieure ne serait pas justifiée. Il y va de la vue des élèves :
jamais il n’y a eu dans nos écoles autant de myopies qu’aujourd’hui, et l’écriture
n’y est pas indifférente. Il y va de la fixité de notre écriture qu’il y a lieu
de maintenir, et pour notre propre commodité, et pour ne pas créer une
difficulté de plus aux nombreux étrangers qui apprennent notre langue. Il
existe en France un corps chargé de maintenir la fixité de notre orthographe, c’est
l’Académie française. Sans réclamer le protectorat d’une autorité si élevée, on
pourrait demander qu’une circulaire ministérielle invitât les membres des commissions
d’examen qui ont à juger des épreuves d’écriture (les commissions pour le
brevet notamment et pour le certificat d’études), à compter impitoyablement
comme des fautes qui abaisseraient d’autant la note, toute addition inutile,
toute suppression, tout ornement qui rendrait l’écriture moins lisible ; en un
mot, toute dérogation à un type d’écriture adopté par une commission
officielle, constituée ad hoc, qui
aurait déterminé ce que doit être chaque lettre pour être la plus simple
possible et la plus facile à exécuter.
Il n’en faudrait pas plus, dans un pays où presque
tout le monde subit des examens, pour opérer en peu d’années une réforme
générale et obtenir une fixité durable. Les lettres de l’écriture courante
sont, pour la communication des idées, des monnaies d’échange auxquelles tout
le monde doit attacher la même valeur : plus elles seront distinctes,
difficiles à confondre et d’un maniement facile, plus elles seront parfaites
pour l’usage auquel elles servent. Il n’y aurait pas à se préoccuper ici de l’initiative
individuelle qui ne pourrait être qu’un caprice. Celle-ci aurait toujours, du
reste, les écritures commerciales et artistiques, qui offriraient un vaste
champ à ses inventions et à ses progrès.
Ce point établi, il resterait encore aux instituteurs
à user, avec plus d’intelligence qu’ils ne le font, de tous les moyens imaginés
pour faciliter leur tâche et les aider à la mener à bonne fin. Ces moyens sont
nombreux : car, en cette matière comme dans les autres, l’imagination n’a pas fait
défaut aux inventeurs et la production a été abondante.
Les ardoises.
Ainsi, on avait remarqué que l’emploi de la plume présente
des dangers pour les jeunes enfants, que les corrections sont difficiles sur le
papier, que l’encre tache les doigts, qu’on ne peut guère obtenir d’eux toute
la propreté désirable, et l’on avait substitué à l’écriture sur le papier l’écriture
sur l’ardoise, avec un crayon dur. Mais on s’est aperçu que celle-ci, à son
tour, a l’inconvénient de raidir les doigts de l’enfant et d’alourdir sa main.
On a remplacé alors les ardoises ordinaires par des ardoises factices avec
crayon tendre, sur lesquelles sont des tracés marquant la hauteur et la pente
des lettres. C’est un progrès ; mais ces ardoises s’écornent et se déchirent,
leur tracé s’efface vite. On a imaginé dans ces derniers temps de les recouvrir
d’un verre dépoli solidement tenu, avec le carton sur lequel il repose, dans un
cadre de bois, et sur lequel on écrit avec un crayon ordinaire. Ces nouvelles
ardoises ont l’avantage de se rapprocher des cahiers, comme les ardoises
factices, et de ne pas alourdir la main ; en outre, elles sont plus solides et plus
durables. Elles paraissent destinées à les remplacer, surtout si l’on trouve le
moyen d’empêcher le verre de se ternir par l’emploi du crayon à mine de plomb.
Les cahiers préparés.
A l’écriture sur l’ardoise on fait succéder l’écriture
sur cahiers préparés, avec modèles au haut des pages et tracés diminuant, à
mesure que l’élève devient plus exercé et peut plus facilement s’en passer. Les
difficultés y sont graduées ; l’élève ne les aborde que successivement, après avoir
été préparé à en triompher. Les maîtres auraient tort de ne pas recourir à l’emploi
de ces cahiers, au moins avec les commençants, à condition qu’ils ne s’imaginent
pas que le cahier les remplace et qu’ils n’ont plus à intervenir personnellement.
Mais il est bon que cette pratique ne dure pas trop longtemps. Il faut que l’élève
s’habitue, dès qu’il le peut, à préparer lui-même sa page et à écrire
lisiblement, sans ces lisières du calque ou du tracé. Il suffit alors qu’il ait
un modèle à imiter et que le maître lui rappelle, quand il les oublie, les
principes exposés dans la méthode.
Le modèle au tableau noir et les modèles gravés mobiles.
Une pratique qui était en usage autrefois dans toutes
les écoles et à laquelle on a eu le tort de renoncer, sans doute parce qu’on la
croyait liée à l’enseignement individuel, est celle des modèles lithographiés
mobiles, que le maître remettait à chaque élève, et que celui-ci s’essayait à
reproduire aussi fidèlement que possible. L’habitude s’est répandue que le maître
fasse lui-même son modèle au tableau noir. Avec l’enseignement simultané, on se
l’explique; mais le modèle au tableau noir ne devait pas entraîner la
suppression du modèle lithographie. Celui-ci est toujours mieux exécuté; l’élève
qui l’a sous les yeux n’est pas forcé de relever la tête à chaque lettre qu’il
fait, pour s’assurer qu’elle est bien conforme au modèle; comme il peut le
faire glisser sur son cahier, à mesure que la page s’avance, c’est toujours un
exemple bien fait qu’il s’attache à reproduire, et non les imitations plus ou
moins maladroites qu’il en a déjà faites lui-même : ce qui ne manque guère d’arriver
quand il n’a que le modèle au tableau noir, et même quand le modèle est gravé
en haut de sa page. Enfin si l’on joint que ce qu’il a à faire, c’est une
réduction et qu’une réduction est toujours difficile, on conviendra que le
modèle fait au tableau noir, s’il n’est pas complété par un modèle gravé mis à
la portée de l’élève, est tout à fait insuffisant. Le tableau noir est parfait
pour l’exposition des principes, pour l’indication de la forme à donner à une
lettre déterminée, pour une observation particulière ou pour une correction
générale, en un mot, comme instrument de démonstration : comme modèle
calligraphique, il est absolument défectueux.
Le modèle fait par le maître sous les yeux des élèves.
Il y aurait bien à dire encore sur ce sujet de l’écriture,
trop négligé par les pédagogues. Les questions que soulève cet enseignement n’ont
peut-être pas été assez étudiées.
Ainsi l’on recommande au maître de faire son modèle en
classe, sous les yeux mêmes de ses élèves.
Est-ce bien ce qu’il y a de mieux? Il faut, dit-on, que les élèves voient
naître les lettres sous ses doigts. Oui, s’il s’agit d’une lettre ou d’une
portion de lettre ; non, s’il s’agit d’un exemple tout entier. Souvent, en
effet, pendant qu’il dessine ce modèle et qu’il a nécessairement le dos tourné,
ses élèves se dissipent et commettent des actes d’indiscipline qu’il lui faut punir
ensuite. La confection de ce modèle lui prend d’ailleurs un temps assez long,
qu’il emploierait plus utilement à des corrections individuelles faites sur les
cahiers. Enfin la tenue d’un morceau de craie ne donne qu’une idée bien incomplète
de ce que doit être la tenue de la plume. Certains maîtres dessinent leur
modèle, à loisir, avant la classe ; mois, au moment de la leçon, ils le
repassent en quelque sorte avec une règle, à l’aide de laquelle ils simulent
pour chaque lettre le mouvement de la main et de la plume de celui qui l’écrit.
Ils arrivent ainsi plus rapidement et plus sûrement au même résultat, qui est
de faire voir à l’élève comment la lettre est engendrée. Pourquoi tous les
instituteurs n’emploient-ils pas ce procédé ? Pourquoi en est-il tant qui ne le
connaissent même pas ?
L'écriture au commandement.
Sans aller jusqu’à faire écrire tous les élèves au
commandement pour chaque lettre ou portion de lettre, comme cela se fait en d’autres
pays, il est des maîtres qui résument en quelques lignes les préceptes
essentiels de la tenue du corps, du cahier et de la plume, qui les font
apprendre ensuite et réciter avant d’écrire, soit collectivement, soit
individuellement, comme on ferait une leçon. Ils pensent que les élèves doivent
les posséder, comme un soldat sait sa théorie. Les deux choses, en effet, ne
sont pas sans analogie. La pratique est bonne ou non ; mais elle devrait être plus
connue.
Conclusion. Nécessité d'une réforme dans l’enseignement de l'écriture et aussi dans les mœurs publiques.
Ce sont des minuties, dira-t-on. Oui; mais c’est dans l’observation
de ces minuties que consiste en grande partie l’art d’apprendre à écrire et la
garantie du succès. L’écriture n’est plus en honneur dans l’enseignement
primaire, et jamais pourtant on n’a tant écrit, jamais il n’a été aussi nécessaire
qu’on écrivît bien. On ne peut songer à augmenter le temps qui lui est consacré
à l’école; mais ce temps pourrait être mieux employé, les résultats ne sont pas
en rapport avec les facilités mises à la disposition des maîtres.
Il faudrait que ceux-ci y donnassent plus de soin et que
leur surveillance s’étendît à la confection des devoirs autres que la page d’écriture.
Il faudrait enfin que l’attention des pouvoirs publics eux-mêmes fût ramenée
sur cette partie essentielle, en somme, des études primaires, et que ceux qui
devraient donner l’exemple d’une belle écriture ne se fissent pas gloire d’avoir
une signature illisible. Une réforme dans les habitudes et dans les mœurs ne
serait pas moins nécessaire que dans l’enseignement.
CHAPITRE III - DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE FRANÇAISE
Ce qu’était l’enseignement de la langue française avant 1870.
Ce qui, il y a une vingtaine d’années, constituait
essentiellement, avec la lecture et l’écriture, l’étude de la langue française
dans les écoles primaires, c’étaient : la récitation littérale de la grammaire,
suivie d’exercices écrits en application de chaque règle ; de longues analyses
grammaticales et logiques, ainsi que des conjugaisons, qui se faisaient toujours
par écrit ; enfin la dictée, qui avait lieu tous les jours, et dans laquelle on
recherchait surtout les difficultés de l’orthographe usuelle ou grammaticale.
Les petits exercices de composition française n’y figuraient pas encore.
L'instruction pédagogique du 20 août 1857.
Ce n’est point qu’on ne sentît ce que cet enseignement
avait de défectueux ; des circulaires ministérielles avaient critiqué ce qui se
faisait et indiqué ce qu’il conviendrait de faire, mais sans grand succès. Il
en est pourtant qui sont restées de véritables documents sur la matière. Voici,
par exemple, ce qu’on trouve dans l’Instruction
du 20 août 1857, adressée à MM. les recteurs, sur la direction pédagogique des écoles primaires.
Après avoir rappelé ce qu’avait déjà dit son
prédécesseur, à savoir « que les élèves des écoles primaires ont besoin d’apprendre
la langue, mais non les subtilités qui ont rendu, en la compliquant, l’étude de
la grammaire si peu attrayante et, par conséquent, si difficiles », M. le
Ministre Rouland ajoutait : «Assurément l’étude de la langue maternelle est
indispensable et peut être féconde ; car, si la langue n’est autre chose que l’expression
de la pensée, la culture n’en peut être sans influence directe sur l’intelligence.
Mais qu’on se garde d’accabler l’esprit des enfants de ces définitions
métaphysiques, de ces règles abstraites, de ces analyses prétendues grammaticales,
qui sont pour eux des hiéroglyphes indéchiffrables ou de rebutants exercices,
Tout enfant qui vient s’asseoir sur les bancs d’une école apporte avec lui,
sans en avoir conscience, l’usage des genres, des nombres, des conjugaisons. Qu’y
a-t-il à faire ? Tout simplement l’amener à se rendre un compte rationnel de ce
qu’il sait par routine et répète de lui-même, machinalement. Que le maître
fasse lire une phrase claire et simple ; cette phrase lue, qu’il s’assure si
les élèves en ont bien saisi le sens ; qu’il explique ensuite ou fasse
expliquer le rôle que chacun des mots joue dans la construction de la phrase.
Après quoi, qu’il donne cette leçon à copier. On a ainsi tout ensemble une leçon
de logique pratique et une leçon d’orthographe. Là est le seul genre d’analyse qu’il faille admettre dans les écoles
primaires. Si l’analyse ainsi pratiquée est fructueuse, parce qu’en étudiant
à la fois la pensée et les mots elle s’adresse à l’intelligence, elle devient
un pur gaspillage de temps quand elle n’est, comme on le voit trop souvent, que
le travail machinal de la mémoire.
« Donc, point de ces longs devoirs
écrits, ambitieusement décorés du nom d’analyses grammaticales ou logiques et bons
seulement à faire prendre en dégoût tout ce qui tient à l’enseignement de la
langue ; point de fantasmagorie de mots ; s’il est possible même, point de grammaire entre les mains des
élèves. Faire apprendre par cœur des formules abstraites à des enfants qui sortiront
de l’école pour manier la bêche ou le rabot, c’est à plaisir et sans résultats
heurter les instincts des familles. Qu’on voie s’entrechoquer dans un pêle-mêle
de notions confuses ces mots techniques dont une intelligence peu exercée ne
parvient jamais à se rendre maîtresse, il n’y a là, avec une perte de temps
certaine, que des avantages bien douteux. »
La circulaire ministérielle du 7 octobre 1866.
C’était là une véritable direction donnée à l’enseignement
primaire pour l’étude de la langue maternelle ; mais elle ne fut sans doute
guère suivie. Neuf ans plus tard, en effet, le 7 octobre 1866[8], un
autre ministre, M. Duruy, dans une circulaire également adressée à MM. les
recteurs, rappelait ces mêmes idées et insistait d’une manière plus pressante encore
sur leur mise en pratique.
« J’appelle votre attention, leur disait-il, sur les
abus que quelques maîtres ont introduits dans l’étude de la grammaire et sur la
nécessité de donner à cet enseignement une direction plus pratique. Je trouve
la preuve de cet abus persistant dans les mémoires produits en 1861, lors du
concours des instituteurs, et dans les rapports de l’Inspection générale, comme
dans les copies des concours cantonaux que je viens d’examiner. Des enfants de
dix à onze ans parlent de verbes transitifs et intransitifs, d’attributs
simples et complexes, de propositions incidentes explicatives ou
déterminatives, de compléments circonstanciels, etc. Il faut n’avoir aucune
idée de l’esprit des enfants, qui répugne aux abstractions et aux généralités,
pour croire qu’ils comprennent de pareilles expressions, que vous et moi,
monsieur le recteur, nous avons depuis longtemps oubliées. C’est un pur effort
de mémoire au profit d’inutilités. Une grande partie de la classe est chaque
jour employée, dans certaines écoles, à la récitation de longues leçons de grammaire,
à la rédaction d’interminables analyses logiques et grammaticales, qui
remplissent leurs cahiers ou leur mémoire et ne disent rien à leur esprit. Cet
enseignement doit être remplacé par des leçons vivantes. Il faut réduire la
grammaire à quelques définitions simples et courtes, à quelques règles
fondamentales qu’on éclaircit par des exemples. »
L'organisation pédagogique de la Seine (1868). Les instructions et directions de M. Gréard.
Quoique les abus eussent été si hautement dénoncés et la
voie à suivre si clairement indiquée, cette circulaire courait risque, comme sa
devancière, de ne produire que des résultats peu appréciables. Tant il y a loin
de la théorie à l’application, des conseils à leur mise en pratique ! On s’explique
d’ailleurs que les maîtres continuassent à suivre les méthodes qu’on accusait :
c’étaient celles qui leur avaient été enseignées à eux-mêmes et ils en
mesuraient la valeur au prix qu’elles leur avaient coûté.
Mais, cette même année 1866, M. Gréard était
chargé de la direction de l’enseignement primaire de la Seine, et deux ans plus
tard, en juillet 1868, il faisait donner la consécration officielle à sa nouvelle
organisation pédagogique des écoles primaires.
Répartition de tous les élèves en trois cours
(élémentaire, moyen et supérieur) ; programmes bien déterminés pour chacun d’eux
; emploi du temps approprié aux diverses classes : telle en était la base.
Mais ce qui la rendit particulièrement féconde, ce
furent les Instructions et directions
pédagogiques par lesquelles il en précisait l’esprit nouveau et en
facilitait l’application méthodique. « L’objet propre de l’enseignement primaire
; dit-il à son tour dans une page bien des fois citée, c’est d’abord sans doute
d’inculquer à l’enfant un grand nombre de connaissances positives, en dehors
desquelles l’homme se trouve aujourd’hui, comme on l’a dit, en dehors de l’humanité
; mais c’est aussi, en môme temps, de former et de développer dans l’enfant le
bon sens et le sens moral : le bon sens, par l’exercice du raisonnement ; le
sens moral, par la culture de tous les sentiments honnêtes, de tous les instincts
élevés dont Dieu a déposé le germe dans son cœur.
« Si tel est bien le but de l’enseignement primaire,
il est évident qu’il vaut surtout par la méthode, et la méthode qui lui
convient peut se résumer en quelques traits : écarter tous les devoirs qui
faussent la direction de l’enseignement, sous prétexte d’en élever le caractère
(modèles d’écriture compliqués et bizarres, textes de leçons démesurés, séries d’analyses
et de conjugaisons écrites, définitions indigestes) ; ménager les préceptes et
multiplier les exemples ; ne jamais oublier que le meilleur pour l’enfant, c’est
la parole du maître; n’user de sa mémoire, si souple, si sûre, que comme d’un
point d’appui, et faire en sorte que l’enseignement pénètre jusqu’à son
intelligence, qui seule peut en conserver l’empreinte féconde ; le conduire du
simple au composé, du facile au difficile, de l’application au principe ; l’amener,
par des questions bien enchaînées, à découvrir ce qu’on veut lui montrer ; l’habituer
à raisonner, faire qu’il trouve, qu’il voie ; en un mot, tenir incessamment son
raisonnement en mouvement, son intelligence en éveil ; pour cela, ne rien laisser
d’obscur qui mérite explication, pousser les démonstrations jusqu’à la
figuration matérielle des choses, toutes les fois qu’il est possible ; dans
chaque matière, dégager des détails confus qui encombrent l’intelligence, les faits
caractéristiques, les règles simples qui l’éclairent..., en grammaire, partir
de l’exemple pour arriver à la règle dépouillée des subtilités de la
scolastique grammaticale ; choisir les textes des dictées écrites parmi les
morceaux les plus simples et les plus purs des œuvres classiques ; tirer les
sujets d’exercice, non des recueils fabriqués à plaisir pour compliquer les
difficultés de la langue, mais des choses courantes, d’un incident de classe,
des leçons du jour, des passages d’histoire, de géographie récemment appris ;
inventer des exemples sous les yeux de l’élève, ce qui pique son attention, les
lui laisser surtout inventer lui-même et toujours les écrire au tableau noir …[9] »
Ce n’étaient plus là seulement des vues théoriques et des indications générales
; c’étaient des conseils tout pratiques, allant droit au but, donnés par quelqu’un
qui voyait les choses de près et qui devait trouver dans l’exercice même de ses
fonctions les moyens de les faire mettre à exécution.
L'arrêté du 27 juillet 1882.
La portée de cette réforme fut immense. Le ministère
lui-même la proposa comme un exemple à suivre à tous les départements de
France. Les événements politiques de 1870 en retardèrent un peu l’application ;
mais, dès 1872, bon nombre d’inspecteurs d’académie s’engageaient successivement
dans les voies nouvelles qui leur étaient ouvertes et adaptaient aux conditions
particulières de leurs départements respectifs l’organisation modèle qui leur
était proposée. Tous les progrès accomplis pendant les dix années qui suivirent
datent de là ; et quand parut l’arrêté du 27 juillet 1882[10], qui
réglementait l’organisation pédagogique de l’enseignement primaire dans toute
la France et lui donnait ses programmes, il ne faisait guère que généraliser
les essais tentés dans les départements les plus soucieux de l’instruction et
donner la sanction officielle à des pratiques que l’usage avait déjà
consacrées. C’est ce travail de transformation qu’on voudrait retracer ici pour
chacun des exercices scolaires dont l’objet est l’étude de la langue française.
Grammaire.
L'enseignement de la grammaire. La grammaire de Chapsal et les grammaires nouvelles.
« S’il est possible même, point de grammaire entre les
mains des élèves », disait l’instruction ministérielle du 20 août 1857. Il y
avait excès dans cette réaction contre l’abus de la grammaire. Si la grammaire
est l’ensemble des lois ou règles du langage, se refuser à la faire apprendre
aux élèves, c’est s’exposer à être forcé de leur répéter un grand nombre de
fois ce qu’il eût suffi de leur apprendre une fois.
Mais cette proscription s’explique, si elle ne se
justifie pas, par la faveur exceptionnelle dont jouissait alors la grammaire de
Noël et Chapsal, qui, à bien des égards, était conçue dans un esprit tout autre
que celui que voulaient faire prévaloir les circulaires ministérielles. C’est une
histoire curieuse que celle de cette grammaire. Editée en 1824, elle ne devint
vraiment populaire qu’après 1830 ; mais à partir de ce moment, sa vogue fut
immense, et pendant près de trente ans on n’en connut guère d’autre dans nos écoles
primaires.
Elle plaisait par des qualités réelles : comme plan et
comme ordonnance générale, elle était une nouveauté ; sous le rapport de la
méthode et de la clarté, elle réalisait un vrai progrès ; philosophique et
rationnelle, elle donnait à l’esprit, par son caractère scientifique, une
satisfaction que ne procurait pas la grammaire empirique de Lhomond.
Mais elle avait aussi de graves défauts : ses
définitions sont trop abstraites et philosophiques pour des enfants; ses modèles
d’analyse grammaticale et logique sont des formulaires tout mécaniques d’une
monotonie désespérante ; elle pousse jusqu’à la subtilité la distinction des diverses
espèces de propositions; elle accable l’esprit de l’enfant de détails inutiles,
en chargeant sa mémoire d’exceptions auxquelles elle donne la même importance
qu’aux règles principales, quoiqu’elles soient d’un emploi moins fréquent et
que certaines même n’aient presque jamais leur application. Ces défauts ne se
remarquèrent pas tout d’abord; ils finirent pourtant par frapper les bons
esprits : de là ces critiques violentes contre la grammaire elle-même, qui
remplissent les circulaires ministérielles citées plus haut.
Mais ce ne pouvait être l’œuvre d’un jour de
déposséder un livre qui jouissait à un si haut degré de la faveur populaire, d’autant
que les mêmes défauts ou des défauts analogues se retrouvaient dans ceux qui
auraient pu lui faire concurrence. Il n’y avait pas moins de détails ni de
subtilités dans Poitevin. Guérard, très sage et très méthodique, n’était ni
moins philosophique, ni moins abstrait. La grammaire lexicologique de Larousse
s’inspirait davantage des idées préconisées par les circulaires ministérielles ;
elle visait à « faire apprendre la grammaire par la langue et non la langue par
la grammaire », comme on l’a si bien dit depuis; mais il lui manquait
certains détails de mise en œuvre et cette ordonnance méthodique, qui séduisait
tant dans la grammaire de Chapsal. Cependant, si elle continuait encore d’être
généralement employée vers 1860, déjà son astre avait pâli, son autorité était
discutée et de graves atteintes avaient été portées à son infaillibilité. Ce ne
fut toutefois que la nouvelle organisation pédagogique de la Seine qui lui
porta les derniers coups.
Que disaient les instructions qui avaient pour objet
la mise en pratique de cette nouvelle organisation ? C’est d’abord qu’il faut,
quand on instruit des enfants, aller du concret à l’abstrait, de l’exemple à la
règle, de l’usage à la formule générale, c’est-à-dire à la loi. N’est-ce pas la
marche que suit le développement progressif des facultés de l’enfant ? Or la grammaire
de Chapsal suivait une marche tout opposée. Elle posait d’abord des règles
abstraites que l’élève devait apprendre pour en faire ensuite l’application. C’était
l’enseignement doctrinal, dogmatique, qui s’impose, tandis que la nouvelle
organisation préconisait un enseignement qui, débutant par le concret, par l’intuition,
fait appel à l’initiative de l’enfant et l’aide à trouver lui-même la règle qu’on
veut lui apprendre.
C’est ensuite que les diverses matières d’enseignement
no doivent pas être étudiées successivement, les unes après les autres, mais qu’elles
doivent être menées de front et simultanément. On doit enseigner, dans les
classes élémentaires, dans les écoles maternelles elles-mêmes, tout ce qu’on
enseigne dans les classes plus élevées ; mais on doit l’enseigner autrement. Du
premier coup, on embrasse tout l’objet de l’enseignement, mais d’une manière
générale ; on approfondit ensuite. On creuse le champ, on le fouille, on le remue
; mais on n’en étend pas les limites. De là la répartition des élèves en trois
cours (élémentaire, moyen et supérieur), avec des programmes concentriques ; ce
qui leur permet d’emporter, à leur sortie de l’école, à quelque moment qu’ils
la quittent, un ensemble de connaissances se suffisant à lui-même, et non plus
le commencement d’une chose dont souvent ils ne devaient jamais voir la fin ;
de là, par suite, des grammaires spéciales correspondant comme force, quoique
avec un objet unique, au degré de développement intellectuel de chacun des
trois cours.
Chapsal, lui, s’était placé à un tout autre point de
vue. Quand il entamait une question, il l’épuisait tout d’abord avant de passer
à une autre. S’agissait-il de la formation du pluriel dans les substantifs ?
Après avoir formulé la règle générale, à savoir que le pluriel se forme par l’addition
d’un s, il donnait l’exception qui veut que les substantifs terminés par al font aux au pluriel. Mais à cette exception il y a aussi des exceptions,
et avant que l’enfant sût ce que c’est qu’un verbe, ce que c’est qu’une
proposition, il lui fallait apprendre qu’aval,
pal, cal, nopal, chacal et serval, tous mots qu’il n’aura jamais à écrire, parce qu’il ignore
et ignorera probablement toujours l’objet auquel ils correspondent, font au
pluriel avals, pals, cals, nopals, chacals et servals. Qu’il
sût que ciel fait cieux, c’était bien, parce que le mot
est usuel ; mais où était la nécessité de lui apprendre qu’il faut dire des ciels de tableaux, des ciels de carrière, choses dont il n’a
aucune idée, et même des ciels de lit, objets qu’il peut connaître, mais qu’il
n’aura sans doute pas, une fois en sa vie, l’occasion d’écrire au pluriel ? Et
comme le livre était assez gros et la durée de la fréquentation assez courte,
il en résultait que les enfants apprenaient chaque année le commencement de la
grammaire, sans la parcourir jamais en entier; que, par suite, ils quittaient l’école,
sachant une foule de choses qui ne leur serviraient jamais et ignorant des
choses qu’il eût été essentiel pour eux de savoir. M. Gréard recommandait tout le
contraire : « L’objet de l’enseignement primaire, avait-il dit, dans une phrase
que reproduisent les instructions officielles de 1882, n’est pas d’embrasser,
sur les diverses matières auxquelles il touche, tout ce qu’il est possible de savoir,
mais de bien apprendre dans chacune d’elles ce qu’il n’est pas permis d’ignorer. »
Il semble bien que ce double défaut de leur œuvre
avait été vu des auteurs eux-mêmes, puisqu’ils avaient cru devoir en composer
un abrégé, dans lequel ils s’étaient attachés, disaient-ils, à conserver « la
même marche et les mêmes principes » que dans la grammaire complète, ce qui était
bien, mais aussi «les mêmes définitions et le même langage », ce qui était un
tort. Il en était résulté que cet abrégé n’avait point été, comme ils le
pensaient, la science grammaticale réduite à sa plus simple expression ; mais qu’ils
avaient tout simplement publié un livre plus court, qui se vendait moins cher,
sans être aucunement plus à la portée des enfants que la grammaire elle-même.
A une conception nouvelle de l’enseignement de la
grammaire, il fallait des livres nouveaux. Ceux-ci ne tardèrent pas à paraître.
Ce fut d’abord, vers 1871, la grammaire de Larive et Fleury, de la librairie
Armand Colin, avec ses trois cours concentriques : même plan, mêmes règles le plus
souvent, mais avec des détails nouveaux et des formules plus abstraites, à
mesure qu’on passe d’un cours à un cours plus élevé, et aussi avec des
exercices tout préparés venant à la suite de chaque règle. Conforme aux nouveaux
programmes et s’inspirant de leur esprit, elle répondait aux besoins du moment.
Elle avait encore une autre qualité : non seulement, comme Larousse, ses
auteurs admettaient une partie lexicologique, des exercices sur la formation et
la dérivation des mots, mais encore ils tenaient compte des récentes
découvertes de la grammaire historique et s’en servaient pour expliquer
certaines particularités d’orthographe ou de construction dont la logique seule
ne pouvait rendre raison. Cette nouveauté fut favorablement accueillie; aussi
son succès fut-il grand. La publicité encore y aida: pour la faire connaître,
ses éditeurs en adressèrent un exemplaire, à titre d’hommage, à chaque instituteur
et à chaque institutrice ; en moins de deux ans, elle fut dans presque toutes
les écoles. D’autres ne tardèrent pas à les imiter et chaque grande librairie
eut bientôt sa nouvelle grammaire, en trois cours concentriques, conforme aux
récents programmes. Citons Leclair et Rouzé, à la librairie Belin ; Berger, à
la librairie Delagrave ; Rocherolles et Pessonneaux, à la librairie Picard,
etc. Toutes les grammaires qui ont paru depuis sont conçues dans le même plan
et s’inspirent du même esprit.
Avec ces livres nouveaux, les méthodes nouvelles se
propagèrent et le progrès s’accentua d’année en année. Aujourd’hui la réforme
est accomplie, sinon absolument dans les faits, au moins dans les idées. Le
maître ne définit plus guère les parties du discours qu’après avoir, dans une
leçon orale, multiplié les exemples qui conduisent naturellement l’élève à
trouver lui-même la définition ou qui tout au moins l’aident à la bien
comprendre. Il agit de même pour lui faire trouver les règles d’accord ou de
construction. Mais peut-être n’applique-t-on pas assez cette méthode à l’étude
de la syntaxe, et ne marque-t-on pas assez les rapports des propositions
subordonnées avec la principale, ce qui est un excellent exercice de jugement.
Il est bien vrai aussi que l’étude de la grammaire a souvent encore pour but l’art
d’orthographier bien plus que celui de parler et d’écrire, qui cependant, d’après
la définition, serait son objet propre. Au moins l’objet qu’on se propose
est-il nettement défini et la voie à suivre est-elle clairement tracée. Les
améliorations qu’on est encore en droit d’attendre ne dépendent plus que de la
composition d’ouvrages réalisant mieux encore la conception idéale qu’on s’est
formée, et surtout de la préparation d’un personnel enseignant suffisamment
instruit et zélé pour la mettre en pratique
Les exercices d’application
La leçon de grammaire faite (qu’elle porte sur une définition,
sur une règle d’accord ou de construction, sur l’emploi ou la suppression d’un
mot), on croit généralement qu’elle a besoin, pour produire dos résultats durables,
d’être suivie d’exercices écrits, nombreux et variés, dans lesquels elle trouve
son application. Autrefois ces exercices formaient un livre à part,
accompagnement obligé du livre de grammaire ; l’usage est aujourd’hui de les
réunir à la grammaire elle-même et de faire suivre chaque règle des exercices
qui lui correspondent. Le procédé est peut-être plus commode ; mais l’exercice
en lui-même a-t-il une vraie valeur pédagogique ? On peut en douter. Sachant
que la règle trouve son application à chaque phrase du devoir qu’il a à faire,
l’élève ne manque guère de se la rappeler ce jour-là. Mais il n’en va pas de même
quand l’occasion de l’appliquer se présente à l’imprévu. L’élève alors la viole
souvent, non parce qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne songe pas à l’appliquer.
— Cependant ce genre d’exercices a un inconvénient plus grave encore. Le plus
souvent il consiste simplement à faire remplir un vide laissé à dessein dans
une phrase, par un mot que l’élève choisit sur une liste dressée à cet effet;
quelquefois même il se borne à faire compléter un mot commencé; trop souvent
aussi les phrases que l’élève doit achever, empruntées à l’histoire, à la
littérature, aux sciences, etc., expriment des choses qui lui sont parfaitement
inconnues et qu’il serait difficile de lui faire comprendre. Il est évident qu’un
pareil travail ne peut avoir pour lui aucun intérêt et qu’il l’accomplit
souvent sans le moindre effort de réflexion. Combien de fois ne lui arrive-t-il
pas aussi de recopier tout simplement ce texte incomplet ou incorrect et d’attendre
le moment de la correction pour y faire les changements qu’il comporte !
Il en serait tout autrement s’il avait à composer lui-même des phrases où la
règle eût son application, si l’exercice était un exercice d’invention en même temps
que d’application. Ce serait alors un travail personnel qui l’amènerait à
penser, à chercher, à trouver et qui éveillerait ses facultés. Mais le procédé
actuellement suivi est plus commode pour le maître, qui n’a rien à chercher, et
pour l’élève, qui se contente de copier machinalement, sans effort pour penser.
La correction aussi peut être générale et partant facile. C’est ce qui explique
la faveur dont il jouit et dont sans doute il jouira longtemps encore, quoiqu’il
ne soit ni suggestif, ni vraiment éducatif.
Analyses grammaticales et logiques.
Il est certainement utile et même intéressant de
décomposer les phrases en
leurs
éléments, d’y distinguer et d’y reconnaître chaque mot, avec sa nature et sa
fonction. Analyser le langage, c’est analyser la pensée dont il est l’expression,
c’est l’éclaircir et la préciser. Mais l’abus est près de l’usage et l’on arrive
vite à réduire en formules mécaniques un travail qui, bien conduit, pourrait
contribuer efficacement au développement des facultés de l’esprit. Ainsi en
était-il avant 1870, comme en font foi les circulaires ministérielles de l’époque.
Il devait y avoir peu d’écoles alors, si tant est qu’il y en eût une seule, où
l’on ne trouvât de ces analyses dans la forme qu’elles critiquaient. Quel était
l’écolier qui n’eût pas écrit plusieurs centaines de fois, sans l’avoir jamais bien
comprise et sans profit aucun pour son intelligence, cette phrase stéréotypée :
«le, article simple, masculin singulier, qui indique que le substantif X... est
pris dans un sens déterminé », quand il ne disait pas « qui détermine le substantif
». Que voulait dire le mot « simple » et surtout le mot « déterminé » ? Il ne
le savait pas, A quoi sert d’écrire qu’un verbe est « transitif » quand ou
ignore le sens vrai de ce mot ? La préposition marque un « rapport » ; que
signifie ce mot « rapport » ? Il faut reconnaître que, dans les bonnes écoles,
ces analyses ne se font plus et surtout qu’elles ne se font plus par écrit. On
s’y contente de faire trouver aux élèves, dans un exercice oral, la nature de
chaque mot et le rôle qu’il joue dans la phrase, ainsi que les rapports qu’il soutient
avec les autres mots, — de leur faire distinguer les propositions principales
et celles qui en dépendent, qui leur sont subordonnées, sans énumérer toutes
les variétés qu’a distinguées la scholastique grammaticale. Dans les autres, et
ce sont les plus nombreuses, si les analyses écrites ont diminué, elles n’ont
pas disparu. Il semble qu’on n’y renonce qu’à regret : les maîtres se résignent
à n’en plus faire, mais ils ne sont pas convaincus. La force de l’habitude est
si grande et l’exercice était si commode ! «Depuis qu’ils ne font plus d’analyse,
disent-ils, les élèves ne savent plus reconnaître les mots, ni dire leur
fonction. » Le savaient-ils mieux autrefois ? Il est permis d’en douter. Ils
récitaient un formulaire, mais n’en pénétraient pas le sens. Dès lors, où était
le profit? La vérité est qu’à cette réforme on gagne un temps précieux, qui
peut être mieux employé, et que l’étude raisonnée de la langue s’en trouve
plutôt facilitée qu’entravée.
Conjugaisons.
Comme les analyses, les conjugaisons écrites étaient
autrefois en grand honneur; comme elles aussi, on les a supprimées, quand il
eût fallu seulement les réformer. La pratique de la conjugaison aide
puissamment à la correction du langage N’est-il pas vrai que la plupart des fautes
qu’on relève dans les petites compositions des écoliers proviennent d’un
mauvais emploi du verbe ? Ses formes sont si nombreuses et ses nuances si
délicates !
Et puis il est des fautes qui sont toutes locales,
inhérentes au milieu dans lequel vit l’enfant : il ne suffit pas de les lui
signaler, il faut les combattre sans cesse et par des exercices tout spéciaux.
Des élèves disent et écrivent : « j’ai venu, tu as arrivé, il s’a coupé, nous
avons sorti, etc. ; c’est moi qui est, c’est nous qui sont, etc. » Il faut leur
faire conjuguer : «je suis venu, etc., tu es arrivé, il s’est coupé, etc.; c’est
moi qui suis, c’est nous qui étions, etc.», et ils se serviront de la locution
correcte tout aussi naturellement qu’ils employaient la locution vicieuse ;
mais il y faut la répétition et l’habitude. Il est tout aussi naturel à un
enfant, qui ne sait pas encore de grammaire, de dire : « je suis venu, nous
sommes entrés », que de dire: « je suis malade, nous sommes contents ». Il en
est de même du verbe pronominal, dont les deux pronoms ne l’embarrassent pas
longtemps, quand une fois il a été mis sur la voie.
Mais c’est surtout pour la correspondance des temps
que la pratique de la conjugaison est utile. A des enfants qui ont l’habitude
de dire : « si je voudrais, si je pourrais, etc.», qui ne savent pas mettre le
temps convenable après les locutions conjonctives « afin que, de peur que,
pourvu que, etc.», il ne peut qu’être avantageux de faire des conjugaisons,
même par écrit, mais bornées à un temps, deux temps au plus, et spécialement
imaginées en vue des locutions vicieuses à détruire.
Dictées.
L’exercice classique par excellence, c’était déjà
autrefois et c’est encore aujourd’hui la dictée. Sitôt qu’un enfant sait
écrire, on lui fait faire des dictées. Il en fait une tous les jours pendant
tout le temps qu’il fréquente l’école ; parfois même, à l’approche des examens,
il en fait plusieurs par jour. C’est qu’aussi la dictée est la pierre de touche
du savoir des candidats dans tous les examens scolaires. Pour obtenir son
certificat d’études, l’élève doit avant tout faire une bonne dictée. L’épreuve
de la dictée n’était-elle pas, naguère encore, éliminatoire à l’examen du
brevet de capacité ? On s’explique qu’on lui accorde tant d’importance. Et puis
l’exercice est si commode ! On prend un livre, quelquefois le premier venu ; on
en dicte une page ; on fait épeler et l’on corrige. Les élèves sont occupés ;
la discipline est facile ; aucune fatigue pour le maître.
Il y aurait peut être d’autres exercices plus
efficaces pour faire acquérir aux enfants la connaissance de la langue
française et même celle de l’orthographe. On ne remarque pas assez que la
dictée est surtout une vérification. Parfaitement à sa place dans un examen, où
il s’agit de constater ce que les élèves savent en orthographe, elle convient
certainement moins comme exercice préparatoire à cet examen. Qu’on fasse faire de
temps en temps une dictée aux élèves pour voir où ils en sont et pour les
aguerrir, rien de mieux; mais qu’ils soient chaque jour soumis à cette vérification
pendant six ans, même quand ils sont arrivés à faire des dictées sans faute, ou
à peu près, il y a certainement abus.
Quoi qu’il en soit, la dictée est une tradition ;
avant d’essayer de la détrôner, il faudrait être sûr que les exercices qui la
remplaceront vaudront mieux ; et puis on romprait difficilement avec une habitude
déjà presque séculaire. Donc la dictée restera longtemps encore l’exercice de français
fondamental dans nos écoles primaires. Mais alors au moins faudrait-il qu’il
fût bien conduit et qu’il servit le mieux possible à son objet.
« Les dictées, graduées avec discernement, analysées
au point de vue des idées, du sens des mots, de l’orthographe, ayant pour objet
un trait d’histoire, une invention utile, une lettre de famille, un mémoire, le
compte rendu d’une affaire» : tel devrait être, aux termes de l’instruction du
20 août 1857, le fondement de la langue française dans les écoles primaires.
Mais, en général, on ne tire pas de la dictée tout le parti qu’on pourrait en
tirer. On a renoncé sans doute à ces dictées composées à dessein pour amener le
plus de difficultés possible ; cependant celles qu’on donne ne satisfont pas
toujours aux prescriptions ministérielles. Trop souvent elles ne sont pas bien
choisies, elles n’ont pas trait aux choses qu’il importe le plus à l’enfant de
connaître, et cela, parce que le maître les tire d’un livre, les unes à la
suite des autres, ou du journal que chaque semaine lui apporte ; mais surtout
on y voit trop un exercice d’orthographe et pas assez une étude de composition
et de style. Cependant il y a sur cette matière des pratiques nouvelles qui se
répandent et qui sont à encourager.
Ici, le maître donne en dictée le morceau qui a fait l’objet
de la leçon de lecture. Le procédé est commode pour celui qui est seul et qui
doit diriger deux cours : ce morceau étant connu n’a plus besoin d’être
expliqué et un élève peut le remplacer pour en faire la dictée à ses camarades.
Mais il ne peut qu’être bon dans tous les cas, parce que l’orthographe s’apprend
surtout par les yeux et que les élèves, sachant que ce qu’ils lisent va faire l’objet
d’une dictée, ne se préoccupent pas seulement, au moment de la lecture, de lire
et de comprendre ce qu’ils lisent, mais qu’ils remarquent aussi comment les
mots s’écrivent, de quelles lettres ils se composent et qu’ils tâchent de ne
pas l’oublier. C’est une habitude qu’ils contractent, qu’ils gardent ensuite
dans leurs autres lectures et qui ne peut qu’aider puissamment à la connaissance
de l’orthographe.
Là, le maître prépare la dictée oralement avant de la donner,
au moins dans le cours élémentaire, mais aussi dans les autres cours pour les
mots les plus difficiles. Rien de plus raisonnable. Un élève se trouve en face
d’un mot qu’il ne connaît pas. Comment va-t-il l’écrire ? S’il n’y fait pas de faute,
ce sera pur hasard et il n’est pas prouvé, comme il n’a fait aucun effort, qu’il
le garde bien dans sa mémoire. Ne vaut-il pas mieux que le maître signale d’abord
ce mot à son attention, qu’il lui en fasse chercher l’étymologie et qu’en le
rapprochant d’autres mots de la même famille qui lui sont plus connus, il lui
fasse découvrir à lui-même comment il s’écrit et les raisons qu’il y a de l’écrire
ainsi. Au moins l’élève ne retient que des choses qui ont d’abord passé par son
intelligence et il les retient d’autant mieux.
Frappés de ce fait que si des élèves ne font plus ou presque
plus de fautes dans leurs dictées, l’exercice n’a pas grande utilité au point
de vue spécial de l’orthographe, certains maîtres ont imaginé de recourir à un
procédé imité de ce qui se fait à l’école La
Martinière, à Lyon[11]. Au
lieu de faire écrire chaque phrase tout entière, ils la lisent et se bornent à
faire écrire, à la craie sur une planchette, les mots qui présentent une
difficulté réelle. Après chaque mot écrit, tous les élèves retournent leur
planchette à un signal donné; le maître vérifie, donne les raisons; on efface
et l’on passe à un autre mot. Le procédé est commode et rapide : il permet de
résoudre en fort peu de temps de nombreuses difficultés d’orthographe usuelle
et même d’orthographe de règles.
Enfin,
la dictée corrigée, au lieu de la mise au net d’autrefois, qui était un pur exercice
de copie, les élèves reproduisent les explications données au cours de la
correction et spécialement le sens des mots difficiles ; ce qui constitue un
excellent exercice de langage et de jugement. Mais il pourrait se faire
également sur la leçon de lecture : il y aurait économie de temps.
Quoi
qu’il en soit, el malgré les défectuosités qu’on peut relever encore dans la
pratique de cet exercice, la dictée en somme se fait aujourd’hui avec
intelligence, et par la variété des sujets qu’elle permet d’aborder, elle
contribue puissamment à élargir le champ jusqu’alors si restreint de l’instruction
primaire. Plus qu’aucune autre matière du programme, elle peut éveiller toutes
les facultés de l’esprit et favoriser leur développement.
Composition.
La composition française. Sa nouveauté.
Pendant longtemps, l’étude de la langue française ne
fut guère que l’étude de l’orthographe : ou lisait, on copiait et l’on écrivait
sous la dictée ; mais, quant à l’idée d’exercer les enfants à exprimer ce qu’ils
savaient, de vive voix ou par écrit, quant à la composition, en un mot, personne
n’y songeait. On le vit bien quand, après 1870, l’institution du certificat d’études
se propagea dans presque tous les départements. Il y en eut beaucoup où la
composition française ne figura pas parmi les épreuves écrites imposées aux
candidats et où la dictée resta la seule épreuve de français. Dans d’autres, on
adjoignit à la dictée une composition d’histoire, c’est-à-dire un devoir de
mémoire, et là où la composition française fut rendue obligatoire, les
instituteurs manifestèrent un véritable étonnement. « Allait-on leur demander
de faire à leurs élèves un cours de rhétorique ?» Cependant il suffisait d’un
peu de réflexion pour comprendre que la dictée n’est qu’un exercice scolaire ;
qu’une fois sorti de l’école, l’enfant ne fait jamais plus de dictée, tandis qu’il
a continuellement besoin d’écrire des lettres de famille ou d’affaires. Aussi,
malgré sa nouveauté, l’idée fit-elle assez vite son chemin, et quand les
examens du certificat d’études furent officiellement réglementés eu 1880, l’administration
supérieure ne fit que donner la consécration à une pratique généralement adoptée,
en mettant au nombre des épreuves écrites une petite composition française. L’arrêté
du 27 juillet 1882, à son tour, lui assigna sa place dans les exercices
scolaires et dans l’emploi du temps : composition de petites phrases avec des éléments
donnés, dans le cours élémentaire ; premiers exercices de rédaction sur les
sujets les plus simples et les mieux connus des enfants, dans le cours moyen ;
rédaction sur des sujets simples, dans le cours supérieur.
Généralement, ces exercices doivent revenir deux fois
la semaine.
La médiocrité des résultats qu'on constate. Ses causes.
Mais si l’utilité, la nécessité même de la composition
française à l’école primaire n’est plus contestée par personne, il s’en faut de
beaucoup encore qu’elle donne les résultats qu’on est en droit d’en attendre. A
cela, il y a bien des causes.
D’abord, elle est récente, puisque les premiers essais
ne datent guère que de vingt ans. Les maîtres qui étaient alors en exercice n’y
étaient nullement préparés et la plupart de ceux qui sont entrés depuis dans
nos écoles, sauf les élèves des écoles normales, n’avaient eux-mêmes reçu qu’une
préparation bien insuffisante. Or un maître ne peut pas bien enseigner ce qu’il
ne sait pas lui-même.
Ensuite il faut reconnaître que la pratique en est
difficile. Plus que tout autre devoir, elle exige que le maître y ait songé
auparavant et qu’il donne beaucoup de sa personne, s’il veut la rendre
intéressante. Elle entraîne d’ailleurs, outre la correction générale faite en
classe, des corrections individuelles faites à la plume en dehors des classes,
c’est-à-dire une somme considérable de soins et une grande dépense de temps.
Aussi est-ce elle qu’on sacrifie toujours, si un empêchement quelconque vient
interrompre la série régulière des exercices.
Les maîtres non plus ne se font pas une juste idée des
moyens à employer pour y réussir. Ils ne réfléchissent pas qu’on écrit comme on
parle ; qu’il est impossible que leurs élèves écrivent bien, s’ils parlent mal ;
qu’ils doivent leur apprendre d’abord à bien parler; que ce n’est pas l’œuvre d’une
année ni d’un exercice spécial, mais que cette préparation doit venir de longue
main et que tous les exercices de l’école doivent y concourir. C’est partout et
toujours que le maître ne doit pas laisser ses élèves lui répondre par « oui
» ou par « non », mais qu’il doit les forcer à exprimer leur pensée dans des
phrases complètes ; qu’il ne doit laisser passer aucune incorrection sans la
relever, aucune construction fautive sans la rectifier ; qu’il doit, en un mot,
exiger un langage correct et pur. Ainsi habitués, les élèves ne seront jamais
empêchés pour exprimer ce qu’ils auront à dire.
Enfin, le choix des sujets qu’on donne à traiter n’est
pas toujours ce qu’il devrait être. Longtemps on a cru qu’on ne pouvait exercer
à la composition que des élèves déjà avancés. « Pour leur demander d’exprimer
des idées, disait-on, il faut attendre qu’ils en aient. » Mais dès que l’enfant
arrive à l’école, il a des idées; et il en acquiert de nouvelles tous les
jours. Ce sont ces idées qu’il faut lui demander d’exprimer et non d’autres.
Quand les sujets qu’on lui donne à traiter sont empruntés à l’ordre des choses
au milieu desquelles il vit ou dans lesquelles ses lectures l’ont introduit, il
les aborde sans étonnement et l’on ne se plaint plus que son fonds soit pauvre
ou son imagination stérile.
Il y aurait à signaler encore bien d’autres erreurs de
méthode. Il y a des maîtres qui se contentent de lire le corrigé du sujet
traité et qui le donnent à rapporter. Bon peut-être au début, ce procédé ne
peut convenir pour amener l’enfant à réfléchir sur ses propres idées, à les disposer
avec ordre, à les exprimer en termes convenables. Essayer de reconstituer des
phrases qu’il a entendues, dont certaines parties lui ont échappé, tandis que d’autres
sont restées présentes à son esprit, et combler les vides avec des matériaux
disparates, ce n’est pas faire œuvre d’intelligence, c’est purement exercer sa
mémoire.
D’autres, au contraire, se contentent de donner le
sujet à traiter, sans tracer ni plan ni canevas, et abandonnent les élèves à
eux-mêmes. Ceux-ci, surtout au début, se morfondent et ne produisent rien qui
vaille.
Mais, à côté de ces procédés défectueux, il y a aussi
de bonnes pratiques qui commencent à se répandre et qu’il convient de signaler.
C’est avec les élèves du cours élémentaire surtout que
la difficulté paraît grande. Voici quelques moyens par lesquels on essaie de la
lever :
1° Le maître dicte ou, mieux encore, écrit au tableau noir,
soit à la suite d’une leçon de lecture ou d’une leçon de choses, soit comme
exercice spécial, une série de questions auxquelles les élèves sont invités à
répondre en s’aidant de ce qu’ils viennent de lire ou d’entendre, ainsi que des
mots de la question elle-même. Si ces questions se rapportent à un objet unique
et si elles ont été bien disposées, les réponses mises bout à bout et reliées
entre elles par quelques conjonctions forment un tout qui est déjà une petite
composition française.
2° Le maître propose quelques mots usuels et invite
les élèves à faire sur chacun d’eux une petite phrase. On invente d’abord des
propositions simples, puis des propositions complexes ; puis on les lie entre
elles. Ce n’est pas encore la composition proprement dite ; mais la première difficulté
est vaincue, puisqu’on sait faire une phrase, qu’un paragraphe n’est autre
chose qu’une suite de phrases qui s’enchaînent, et un devoir tout entier
plusieurs paragraphes ayant trait à un même objet.
3° D’autres fois, à l’aide du même procédé, mais
employé inversement, il prend dans un livre de lecture le récit d’une anecdote
intéressante, il en supprime les adjectifs qualificatifs, les propositions
incidentes, les circonstances de temps, de lieu, de manière, etc., et il dicte
le canevas ainsi réduit en y marquant les lacunes. Les élèves sont invités à
les combler en retrouvant ce qui a été supprimé ou en imaginant quelque chose d’analogue.
4° Enfin il y a la rédaction sur images. Tantôt une
seule image est donnée et les élèves sont invités à dire tout ce qu’ils voient,
à émettre toutes les réflexions que leur inspire le tableau ou la scène qu’ils
ont sous les yeux. D’autres fois, c’est une série d’images se rapportant à une
même idée, qui se développe en action. Ainsi : Paul le paresseux. «Paul a de la peine à se lever le matin. Il
court pour se rendre à l’école et il arrive en retard. Invité à réciter sa
leçon, il balbutie. Il est retenu après la classe pour apprendre la leçon qu’il
n’a pas sue. » C’est quelque chose pour un enfant que d’apprendre à suivre
ainsi le développement en acte d’une idée et à saisir les rapports que les
faits ont entre eux.
La matière est abondante, pourvu qu’on sache chercher,
et un maître un peu curieux n’est jamais embarrassé pour trouver des sujets de
rédaction appropriés, même à des élèves du cours élémentaire.
Dans les cours moyen et supérieur, la matière est plus
abondante encore : il y a les anecdotes, les traits d’histoire, les
descriptions, les portraits, la discussion des proverbes, la lettre, qui
embrasse tous les genres, la rédaction enfin qui a pour objet toutes les
matières enseignées.
Mais, quel que soit le devoir, ce qui importe, c’est qu’il
soit d’abord l’objet d’une préparation orale. Le sujet est indiqué et tous les
élèves sont appelés à dire comment il peut être traité, à apporter leur petit
contingent d’idées. Le maître fait connaître pourquoi, parmi les idées qui lui
sont proposées, il admet les unes et rejette les autres. Un élève est au
tableau, qui note par un mot toutes celles qu’on retient. Quand personne ne
trouve rien, ou quand on ne trouve pas ce qui convient, le maître met sur la
voie par ses questions. Les matériaux réunis, il faut construire; la provision
d’idées faite, il faut arrêter un plan. Ici encore on recherche en commun
quelle est l’idée par laquelle on débutera, celle par laquelle on finira, dans
quel ordre il y a lieu de disposer toutes les autres en vue du but qu’on se propose
; en d’autres termes, on fait une matière comprenant un certain nombre de
points. C’est sur ce canevas que chacun s’essaie ensuite à broder ses idées
personnelles. Ainsi échauffés par cette méditation préalable et tout pleins de
leur sujet au moment où ils prennent la plume, les élèves ne se plaignent plus
qu’il soit stérile ; ils écrivent avec facilité et abondance.
Dire que cette pratique soit en usage dans un grand nombre
d’écoles, ce serait peut-être se hasarder; mais on peut au moins affirmer qu’elle
est partout connue et patronnée, et qu’il ne lui manque pour se généraliser que
le savoir-faire chez les maîtres et une plus grande expérience.
Enfin il est encore une innovation qui aidera
singulièrement au progrès de la composition, c’est la récitation classique, autrefois absolument inconnue, et qui se
pratique aujourd’hui dans toutes les écoles. On laisse ici de côté les services
qu’elle peut rendre à la lecture, dont elle n’est qu’une forme perfectionnée;
on ne veut que signaler l’influence considérable qu’elle ne peut manquer d’exercer
à la longue sur le langage des enfants. L’enfant de l’école primaire trouve,
dans ces morceaux qu’il apprend par cœur, des mots qu’il n’entend jamais dans
sa famille et qu’il a pourtant besoin de connaître, des tours de phrase plus délicats
el plus relevés que ceux de ses conversations ordinaires. Il fait ainsi, comme
à son insu, une provision de mots dont il ne manquera pas plus tard de faire
usage dans ses compositions. Sans doute il faudrait que ces morceaux fussent
bien choisis, puisque ce sont comme des moules et des formes où il coulera sa
pensée plus tard, et ils ne le sont pas toujours. Trop souvent on se trompe
dans les choix qu’on fait : sous prétexte de cultiver la sensibilité, on tombe dans
la sensiblerie ; on veut exciter le patriotisme, et l’on glisse dans le
chauvinisme ; on veut donner des modèles de force et d’énergie, on va jusqu’à l’enflure
et l’emphase. Trop souvent aussi ils ne sont pas suffisamment expliqués et les élèves
n’en sentent pas, n’en goûtent pas toutes les beautés. Le goût est affaire
délicate : on ne peut l’exiger absolument sûr de tous les instituteurs. Mais,
ici comme ailleurs, de bons livres feront leur éducation et ceux-ci dès aujourd’hui
ne leur manquent pas. Le livre de l’Ecole
de M. Lebaigue[1], la Récitation à l’école de M. Vessiot[2], sont
des guides qu’ils peuvent suivre avec confiance.
Conclusion. — En résumé, on peut affirmer de la façon la plus
catégorique que l’étude de la langue maternelle est en progrès dans nos écoles
primaires. La grammaire a été mise à la portée des élèves ; elle est mieux
enseignée et mieux comprise. Si l’on peut regretter que les exercices d’application
ne soient pas toujours bien choisis et qu’ils ne laissent pas une place assez
large aux exercices d’invention, au moins les exercices cacographiques ont-ils
totalement disparu. Si les analyses et les conjugaisons pourraient être mieux
comprises, au moins se font-elles rarement aujourd’hui dans cette forme
inintelligente et toute mécanique que les anciennes grammaires avaient
consacrée. On ne trouverait plus sur aucun cahier de ces dictées arrangées en
vue d’y accumuler des difficultés orthographiques; si celles qu’on donne
aujourd’hui ne sont pas encore absolument ce qu’on voudrait qu’elles fussent,
elles sont plus conformes cependant à l’esprit des circulaires ministérielles.
Enfin l’exercice de la composition française est un gain absolu, ainsi que la
récitation classique, son adjuvant : les résultats obtenus sont médiocres
encore; mais ils deviennent de jour en jour plus satisfaisants avec l’élévation
progressive du niveau de l’instruction. Les programmes ont pu gagner en
étendue, sans rien perdre en profondeur.
Autrefois étudier la langue française, c’était
simplement apprendre l’orthographe; aujourd’hui c’est aussi apprendre du
français. Et pour que la transformation fût complète, pour que les choses
fussent vraiment mises en leur place, le français d’abord et l’orthographe
ensuite, peut-être suffirait-il de supprimer à l’examen du certificat d’études l’épreuve
spéciale de la dictée, la note d’orthographe résultant de la manière dont le
candidat aurait orthographié sa composition française, c’est-à-dire ses
expressions à lui, celles qu’il connaît et qu’il emploie. Tenir les examens, c’est
avoir la direction de l’enseignement. Le moyen d’assurer à la composition, à la
rédaction, comme on voudra l’appeler, la place qu’elle devrait avoir dans les
écoles, c’est de lui donner la place prépondérante, la première, dans les
examens qui tendent à devenir de plus en plus le couronnement des études
primaires.
[1] Faire
attention que, dans la méthode de Pascal telle que la décrit Arnauld au
chapitre 6 de la Grammaire générale,
le e dans be, de, me, etc. est un e muet comme celui que l’on entend à la fin de succombe, candide, aime, etc. (cf. note i à la fin du
texte). Pour désigner la lettre m, on
ne dira pas emm, mais on ne dira pas
non plus meu : on dira mmmm…. [Note de « école :
références »]
[2] Si
toutes les nouvelles méthodes ne recommandent pas le procédé phonique, presque
toutes font marcher ensemble l’enseignement de la lecture et de l’écriture : M.
Cuissart, librairie Picart ; M. Néel, librairie Armand Colin; M. Toussaint,
librairie Delagrave; M. Christiaens, librairie Belin; M. Georgin, librairie
Paul Dupont; M. Magnat, librairie Fischbacher, méthode spécialement destinée
aux sourds-muets, etc. La méthode Schuler, librairie Hachette, qui est
peut-être la première en date, commence même par montrer d’abord aux enfants
les lettres écrites; c’est seulement quand ils savent les lire et les
reproduire qu’elle leur présente les caractères imprimés. Il en est de même de
la méthode Mir (enseignement de la lecture par l’écriture), à la librairie
Gauguet; de celle de M. Rumeau, directeur d’école à Toulouse.
[3] Lassailly, éditeur, 13, rue de Varenne, Paris.
[4] Hachette,
éditeur, 79, boulevard Saint-Germain, Paris.
[5] Aussi
certaines méthodes, celle de Noël, par exemple, librairie Gédalge, et celle de
Mottot, librairie Belin, réunissent-elles par un trait qui les souligne, ou par
un arc de cercle, les deux ou quelquefois les trois lettres qui représentent un
seul son : ch, an, oin, etc., pour bien
marquer que ces lettres multiples n’expriment pourtant qu’un son unique.
[6] Bien
d’autres livres encore étaient en usage, quoique moins universellement répandus
: la Petite Civilité, un traité de
l’éducation prise par le petit côté ; Simon de Nantua, qui jouit d’une vogue
momentanée et qui fut évincé par les Récits
moraux et instructifs de Rendu; Petit-Jean,
un type que perfectionnèrent ceux qui l’ont suivi ; le Choix gradué de cinquante sortes d’écritures, dont certaines
lectures présentaient un réel intérêt, mais dont l’objet était pourtant
spécial, etc.
[7] Voir ce qui est dit h ce sujet dans la monographie du certificat
d’études, in fine.
[i] Voir
dans le Dictionnaire Buisson 1911,
l’article « Port-royal
(petites écoles de) » : (extrait) « pour partir de l'a b
c, on avait été frappé à Port-Royal du temps que les enfants mettaient à
apprendre à lire et de la peine que leur donnaient ces premiers commencements.
Pascal crut en trouver la principale cause dans ce fait, que la méthode suivie
d'ordinaire n'était rien moins que rationnelle, et il inventa la méthode qui
porte son nom. Sa sœur Jacqueline, qui, sous le nom de sœur Sainte-Euphémie,
s’était faite religieuse à Port-Royal des Champs et y enseignait à lire, en fit
l'essai : Voir l'article Pascal. Plus tard Arnauld en donna
une exposition méthodique dans le sixième chapitre de la Grammaire générale.
L'usage était d'apprendre à lire dans
des livres latins, et voici la singulière raison qu'en donnait encore, en 1686,
Fleury, dans son Traité des études : « On fait lire d'abord en latin,
parce que nous le prononçons plus comme il est écrit que le français ». Il est
vrai qu'il n'approuve qu'à demi cet usage, et qu'il ajoute : « Mais je crois
que le plaisir qu'aurait un enfant d'entendre ce qu'il lirait et de voir
l'utilité de son travail l'avancerait bien autant ; c'est pourquoi je voudrais
lui donner bientôt quelque livre français qu'il pût entendre ». On pense bien
qu'ici encore Port-Royal va rompre avec la coutume ; il préférera, pour
l'enseignement de la lecture, les livres français aux livres latins ; car, «
comme les enfants entendent leur langue naturelle, ils comprendront avec bien
moins de peine ce qu'ils liront en cette langue qu'en une autre dont ils n'ont
encore aucune idée ».
Sans attacher une importance exagérée
à la beauté de l'écriture, — « car il ne faut faire état des choses qu'autant
qu'elles peuvent servir à leur fin, et l'écriture n'ayant d'autre fin que la
lecture ne doit être estimée qu'autant qu'elle rend la lecture facile», — on ne
la négligeait pas pourtant. […] »
Première Partie : Où il est parlé des lettres et des caractères de
l’écriture
CHAPITRE VI.
D’une nouvelle manière pour apprendre à lire facilement en toutes
sortes de langues.
Cette méthode
regarde principalement ceux qui ne savent pas encore lire.
Il est certain
que ce n’est pas une grande peine à ceux qui commencent, que de connaître
simplement les lettres ; mais que la plus grande est de les assembler.
Or, ce qui
rend maintenant cela plus difficile, est que chaque lettre ayant son nom, on la
prononce seule autrement qu’en l’assemblant avec d’autres. Par exemple, si l’on
fait assembler fry, à un enfant, on
lui fait prononcer ef, er, y
grec ; ce qui le brouille infailliblement, lorsqu’il veut ensuite
joindre ces trois sons ensemble, pour en faire le son de la syllabe fry.
Il semble donc
que la voie la plus naturelle, comme quelques gens d’esprit l’ont déjà
remarqué, serait que ceux qui montrent à lire, n’apprissent d’abord aux enfants
à connaître leurs lettres, que par le nom de leur prononciation ; et qu’ainsi
pour apprendre à lire en latin, par exemple, on ne donnât que le même nom d’e à l’e simple, l’æ et l’œ, parce qu’on les prononce d’une même
façon ; et de même à l’i et à l’y ; et encore à l’o et à l’au, selon qu’on les prononce aujourd’hui en France; car les
Italiens font l’au diphtongue.
Qu’on ne leur
nommât aussi les consonnes que par leur son naturel, en y ajoutant seulement l’e muet, qui est nécessaire pour les
prononcer : par exemple, qu’on donnât pour nom à b, ce qu’on prononce dans la dernière syllabe de tombe ; à d celui de la dernière syllabe de ronde ; et ainsi des autres qui n’ont qu’un seul son.
Que pour
celles qui en ont plusieurs, comme c,
g, t, s, on les appelât par
le son le plus naturel et plus ordinaire, qui est au c le son de que, et au g le son de gue, au t le son de la
dernière syllabe de forte, et à l’s celui de la dernière syllabe de bourse.
Et ensuite on
leur apprendrait à prononcer à part, et sans épeler, les syllabes ce, ci,
ge, gi, tia, tie, tii.
Et on leur ferait entendre que l’s,
entre deux voyelles, se prononce comme un z,
miseria, misère, comme s’il y avait mizeria,
mizère, etc.
Voilà les plus
générales observations de cette nouvelle méthode d’apprendre à lire, qui serait
certainement très utile aux enfants. Mais pour la mettre dans toute sa
perfection, il en faudrait faire un petit traité à part, où l’on pourrait faire
les remarques nécessaires pour l’accommoder à toutes les langues.
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