L’Association des Professeurs de Lettres a mandaté Mireille Grange pour élaborer un rapport sur l’enseignement des lettres au collège. Celui-ci a été adopté à l’unanimité en assemblée générale le 23 mars 2005 et lors du Comité du 21 mai 2005.
Madame Mireille Grange est certifiée de lettres modernes et enseigne au Collège Boris Vian de Lille (Nord).
Monsieur Jean Happel, agrégé de lettres classiques, professeur au Collège Baldung Grien de Hoerdt (Bas-Rhin), a plus spécialement dirigé la seconde partie du rapport, consacrée aux langues anciennes.
Collaborateurs :
Mlle Cécile Charloux, certifiée de lettres modernes, professeur au Collège Petit-Manoir du Lamentin (Martinique)
Madame Cécile Réveret, certifiée de lettres classiques, professeur au Collège Jean-Jacques Rousseau du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis)
Monsieur Romain Vignest, agrégé de lettres classiques, professeur au Lycée Édouard Branly de Dreux (Eure-et-Loir), vice-président de l’APL
Les auteurs ont mené leurs travaux en liaison avec Henri Guinard, président de l’APL.
Lien :
http://www.aplettres.org/L'Enseignement%20des%20lettres%20au%20college.pdf
SOMMAIRE
PRÉAMBULE : LE PASSÉ INTERDIT
Ire PARTIE – LE FRANÇAIS
I. Le constat
II. Les programmes de français au collège
A) L’enseignement de la langue
B) L’enseignement de la littérature
C) Le verrouillage du système : la séquence didactique
D) Le Brevet des collèges
Conclusion : bilan des programmes du collège
Codicille : les Itinéraires De Découvertes
III. Propositions
A) Disparition de la séquence didactique et liberté pédagogique
B) Retour à des horaires suffisants
C) Des heures pour quoi faire ?
1) L’apprentissage de la langue et le renforcement des connaissances
2) L’étude des textes : retour au sens et à la littérature
Nota bene
IIe PARTIE – LE LATIN ET LE GREC
I. Les problèmes
A) Une difficulté majeure : les élèves ignorent la grammaire française
B) Les effectifs
1) Effectifs de latinistes
2) Effectifs d’hellénistes
C) Une politique défavorable
II. Redéfinir la place du latin et du grec au collège
Lien :
http://www.aplettres.org/L'Enseignement%20des%20lettres%20au%20college.pdf
PRÉAMBULE : LE PASSÉ INTERDIT
Printemps 2005 : la Loi d’orientation sur l’avenir de l’école est votée et va entrer en
vigueur dès la rentrée de septembre. Cette loi prévoit, entre autres, un « socle commun des
connaissances », tel que l’avait déjà préconisé le « rapport Thélot » constatant la situation
désastreuse de l’école dans son ensemble et de l’enseignement du français en particulier. Par
ailleurs, ce rapport avait enfin pris en compte le fait que les élèves de collège ne maîtrisent
pas leur langue maternelle pour une proportion non négligeable d’entre eux et qu’il faut de
toute urgence leur apprendre « la langue ». Selon les années, c’est en effet de 20 à 35%
d’élèves arrivant en classe de Sixième qui savent à peine lire et qui savent encore moins
écrire. Néanmoins, ce rapport n’aborde pas les problèmes clefs qui minent l’école en ce
moment : les programmes et la façon de les faire appliquer, autrement dit la pédagogie. La
nouvelle loi, malheureusement, n’aborde pas plus ces problèmes cruciaux, et si l’idée de
donner à tous les élèves jusqu’en classe de Troisième un bagage minimum est en soi louable,
voici comment est défini le « socle » :
« Le socle comprend un ensemble de connaissances et des compétences indispensables :
- La maîtrise de la langue française ;
- La maîtrise des principaux éléments de mathématiques ;
- Une culture humaniste et scientifique permettant l’exercice de la citoyenneté ;
- La pratique d’au moins une langue étrangère ;
- La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication. »
On est en droit de penser qu’à la sortie du collège les élèves maîtriseront la langue
française, ce qui est un minimum et un préalable indispensable à l’ensemble des
apprentissages, y compris scientifiques — espérons que la langue française dont il s’agit ne
sera pas purement utilitaire — mais on se demande ce que signifie : « une culture humaniste
et scientifique permettant l’exercice de la citoyenneté. » Une telle formulation est
particulièrement vague et ressemble plus à un catéchisme « citoyen » qu’à la volonté de
donner à tous les élèves une authentique formation humaniste reposant essentiellement sur
l’étude sérieuse des grandes œuvres du patrimoine littéraire national et européen, sur celle des
langues anciennes, passablement mises à mal et passées aux oubliettes lors de réformes quasi
permanentes, mais aussi sur celle de l’histoire qui permet de situer les œuvres dans un
contexte précis. Sans l’histoire, celles-ci demeurent incompréhensibles et muettes pour des
élèves plombés par un présent et une « immédiateté » que l’école, dans son souci de
concurrencer la télévision et les jeux-vidéos, principales sources d’éducation et de formation
des élèves de 2005, divinise au lieu de les tenir prudemment à distance : le présent n’a de sens
que s’il est éclairé par le passé, les œuvres du passé n’ont de sens que si les élèves ont des
connaissances historiques précises pour les rendre signifiantes. Or, « faisons table rase du
passé » est le slogan-credo en vogue à l’Éducation nationale depuis des décennies et ce n’est
pas un hasard si quarante-sept historiens prestigieux, sous la direction d’Alain Corbin, face à
la perte de tous les repères chronologiques par les élèves, lancent un cri d’alarme dans une
parution de février 2005 aux éditions du Seuil : 1515, les grandes dates de l’histoire de
France revisitées par les grands historiens d’aujourd’hui.
Pierre Nora écrit par exemple, à la page 461 de cet ouvrage : « La valse des programmes
et des instructions, depuis qu’en 1969 l’histoire a cessé d’être une discipline autonome de
l’enseignement primaire pour devenir une partie des “activités d’éveil”, prouve assez la trappe
qu’a ouverte sous les pieds des professeurs d’histoire la disparition apparemment innocente et
libératrice d’une liste obligatoire de dates sèches, sans chair et sans vie. »
Gageons que le « socle » prévu par la nouvelle loi ne transformera pas la littérature et les
langues anciennes en « activités d’éveil citoyen » jusqu’en classe de Troisième : ce ne serait
plus un socle, ce serait une souche.
C’est pourquoi, face à l’effacement progressif, systématique et volontaire du passé dans
l’enseignement de nombreuses disciplines qu’on appelait « autrefois » les humanités,
l’Association des Professeurs de Lettres a décidé de présenter un rapport sur l’état actuel de
l’enseignement des Lettres au collège : enseignement de la langue et de la littérature d’une
part, enseignement du français, du latin et du grec d’autre part.
Pour ce faire, il importait de
dresser un constat à l’arrivée des élèves en classe de Sixième, de parler des programmes, de
constater les effets de ces programmes sur les élèves parvenant en classe de Seconde, et enfin
de faire des propositions susceptibles d’améliorer la situation.
Nous voudrions enfin souligner le choix que nous avons fait de traiter au sein du même
rapport l’enseignement du français, du latin et du grec. Ces trois langues et ces trois
littératures constituent à nos yeux les trois pans d’une même discipline : les lettres. Elles
procèdent d’ailleurs des mêmes pratiques : l’étude de la langue et des œuvres, et visent aux
mêmes fins : la formation de la personne et la transmission du patrimoine national et européen
dans ce qu’il a d’universel. Elles souffrent aussi des mêmes maux, d’ailleurs aggravés par leur
séparation : la langue et les lettres françaises privées de leur substrat, le grec et le latin
dissociés de ce qui en justifiait l’étude n’en ont été que plus aisément vidés de leur substance
propre. C’est toujours la littérature qu’on a reniée dans ce qu’elle a de plus précieux et, là
encore, il s’agira de retrouver et renouer les fils du passé pour rendre à nouveau possible la
pensée.
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