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lundi 19 janvier 2015

Rouquié, Méthode de lecture globale (1924)

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Extrait de Chartier Anne-Marie, Hébrard Jean, « Chronique « histoire de l'enseignement ». Méthode syllabique et méthode globale : quelques clarifications historiques », Le français aujourd'hui 2/2006 (n° 153) , p. 113-123 
URL : www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2006-2-page-113.htm.
DOI : 10.3917/lfa.153.0113.

La « méthode globale », objet de tant de discussions et dotée d'une si piètre réputation dans le grand public, apparaît dans cette période de certitude pédagogique. La dénomination n'appartient pas au docteur Ovide Decroly comme on l'affirme souvent, mais à une institutrice française, madame C. Rouquié, une directrice d'école maternelle, qui introduit en France dans les années 1920, une nouvelle technique d'apprentissage influencée par les idées psychologiques d'alors, celles de O. Decroly et des diverses « pédagogies nouvelles ».
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Dans une première étape, l'enfant lit en s'appuyant sur un matériel constitué de mots et de petites phrases accompagnés de gravures. On regarde l'image, elle évoque des mots simples empruntés au langage quotidien (par exemple : « Regardez Jules assis sur les genoux de sa maman ; elle lui lave les bras et les jambes »). On montre alors la ligne d'écriture sous l'image (« Jules a des bras et des jambes »), puis les mots isolés du commentaire de l'image (« les bras, les jambes »). On décrit le mot, sa longueur, ses « gréements » spécifiques, on le compare à d'autres mots déjà connus (« C'est presque comme? »), bref, on le fixe en mémoire à partir de ses caractères graphiques. On peut alors utiliser ce savoir, progressivement capitalisé, pour lire de petits textes composés à cet usage. Si l'on a pris soin, d'autre part, d'étiqueter les objets qui se trouvent dans la classe, chaque enfant acquiert rapidement la connaissance globale de plusieurs dizaines de mots. Mais ce n'est là que la première phase de la méthode. Dans une deuxième étape, on apprend, en effet, à déchiffrer des mots inconnus par analogie avec ceux qui sont déjà connus. Dans ce but, on décompose le mot inconnu en unités graphiques ou en syllabes comparables à celles qui ont déjà été isolées dans d'autres mots. Par exemple, « chèvre » sera déchiffré à partir de « lèvre » et de « cheveu », « mèche » à partir de « lèche » et de « main », etc. Il ne reste plus qu'à exercer l'enfant à lire de plus en plus vite des textes de moins en moins préfabriqués, en automatisant ces stratégies de reconnaissance.
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Madame Rouquié a proposé une première description de sa méthode dans un article du Bulletin de la Société A. Binet en 1921 et son livret, Méthode Rouquié. Lecture globale, publié par Hachette en 1924 (il connaîtra plusieurs éditions) est préfacé par T. Simon, président de la Société. Il ne s'inscrit pas d'emblée dans la sphère d'influence decrolyenne, puisque le fondateur de l'Ermitage avait été, en 1910, fortement critiqué dans cette même revue, par l'un de ses fondateurs, Vaney. Pourtant, ce sont bien les idées débattues autour de l'expérience bruxelloise de O. Decroly qui sont le terreau dans lequel se développent les idées globalistes. Or, c'est pour tenter d'apprendre à lire à des enfants handicapés mentaux qui n'y parvenaient pas par des méthodes ordinaires que O. Decroly a reconsidéré la méthodologie de l'apprentissage. En particulier, comment faire naître un minimum d'intérêt pour ces activités, de l'avis général, fastidieuses, même pour des enfants normaux ? Il suggérait de partir des significations et non des signes graphiques, c'est-à-dire de la mise en relation d'une situation vécue et d'un écrit qui l'évoque (récit d’événements partagés) ou la provoque (exécution d'actions d'après un ordre donné sur un message). L'écrit, directement lié au vécu, devait prendre ainsi son sens fonctionnel, sinon son sens dénotatif, il suffisait ensuite d'en fixer la forme en prenant soin de ne présenter aux enfants que des graphies complètes, non analysées (car l'élément est toujours plus abstrait que le tout), bref, au minimum, de petites phrases.
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La lecture est donc pour O. Decroly une activité idéovisuelle qui, à la limite, se passe du langage oral et peut donc être un puissant levier de développement pour des enfants ayant de sérieuses difficultés de langage (son intérêt pour les sourds-muets est directement lié à cette hypothèse). Le succès de ces méthodes a été très variable selon les aires géographiques considérées. La pédagogie d'Ovide Decroly s'est imposée comme pédagogie officielle en Belgique à l'occasion de la réforme des programmes de 1936. Cela supposait une très forte action de formation des enseignants qui n'a pas eu lieu et les résultats n'ont pas été à la hauteur des attentes. Mais l'enseignement de la lecture est la cible de virulentes attaques. Une longue campagne de presse, lancée par les partis d'opposition, s'est développée autour d'un thème qui, depuis, n'a jamais manqué d'écho : la méthode idéovisuelle (en France, on dira « globale ») serait fatale à l'apprentissage de l'orthographe, sinon à celui de la lecture elle-même. La guerre ne fait pas lâcher prise aux détracteurs, la polémique reprend en 1945 et le ministère de l'Instruction publique belge revient en 1957 sur les décisions prises.
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En France, de l'avis des observateurs (on n'a pas de statistiques précises qui permettent d'avoir une opinion plus établie), la « méthode globale » n'a jamais eu un grand succès. Boudée par les écoles normales, peu appréciée des éditeurs (car elle permet de se passer d'un appareil pédagogique qui ne cesse de prendre de l'importance), elle semble être réservée au réseau des « écoles nouvelles » (souvent privées) directement inspirées de la pensée decrolyenne. En dehors du cas de C. Freinet, la « méthode globale » concerne surtout le pré-apprentissage de la lecture et ce sont des maîtresses d'école maternelle qui la défendent comme Madame Romain qui publie, en 1932, L'Initiation à la lecture par la méthode globale : Dix ans d'expérience (Paris, Goffinet).



































































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