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mercredi 17 février 2016

Le Poisson rouge dans le Perrier (1983) par Jean-Pierre Despin et Marie-Claude Bartholy

Le poisson rouge dans le Perrier, Enquête sur une école au dessus de tout soupçon a été publié en 1983. Les auteurs en sont Jean-Pierre Despin et Marie-Claude Bartholy. 

Vous pouvez voir des extraits de l'émission Apostrophes du 2 mars 1984 (animateur : Bernard Pivot) consacrée à l'enseignement et intitulée "Des fabriques de cancres ?" avec l'auteur Jean-Pierre Despin, Jacqueline de Romilly pour L'Enseignement en détresse, Francine Best (directrice de l'INRP de l'époque), Maschino, etc --> http://www.ina.fr/video/CPB84050129 

Une très bonne recension du livre a été réalisée par Bernard Appy (Formapex Pédagogie Explicite). http://bernardappy.blogspot.com/2008/05/recension-le-poisson-rouge-dans-le.html 

Dans la citation suivante, vous trouverez en gras un bref mais puissant éloge de l'ouvrage par Cécile Reveret  : 
Il m’était facile de désobéir quand il était question de livrets d’opéra. Même les plus férus de nouveauté n’avaient pas envie de se lancer dans ces entreprises sans fin. Ce fut en revanche plus compliqué de résister au nouveau vocabulaire qu’on nous imposa en classe. Les nouvelles nomenclatures furent en général accueillies avec un réel engouement par les professeurs de français. Parler de champ lexical ou de progression à thème éclaté vous posait comme quelqu’un de calé. Continuer à faire de la grammaire vous cataloguait au contraire dans le camp des ringards ou, pis, des ignorants. 
 Il y eut une période délicate quand je dus subir des plaisanteries condescendantes: j’étais vraiment démodée. Je fus aussi prise de doutes. Est-ce que ça valait la peine de ramer ainsi, seule ou presque, à contre-courant ? D’enseigner l’analyse logique à une classe qui n’en avait jamais fait avant, et dont je savais qu’elle n’en ferait plus jamais après ? 
Ce sentiment d’isolement s’estompa, vers la fin des années 1990, avec la sortie d’un grand nombre de livres décrivant la faillite de l’enseignement. Citons entre autres La Destruction de l’École Élémentaire et ses Penseurs de Liliane Lurçat, Ed. François-Xavier de Guibert, 1998; L’Horreur Pédagogique de Guy Morel et Daniel Tual-Loizeau, Ramsay, 1999; Lettre aux Parents des Futurs Illettrés de Ghislaine Wettstein-Badour, Éditions de Paris, 2000; Le Journal d’une institutrice clandestine de Rachel Boutonnet, Ramsay, 2003; suivis par des dizaines d’autres. Mais, dès 1983, l’essentiel avait été dit dans Le Poisson Rouge dans le Perrier. Enquête sur une école au-dessus de tout soupçon, de Jean-Pierre Despin et Marie-Claude Bartholy, Éditions Critérion.  
D’autre part, Internet favorisa les échanges entre tous les professeurs qui, comme moi, luttaient, s’obstinaient dans leur coin. De nombreuses associations se sont créées alors: Sauver les Lettres, Reconstruire l’École, le SLECC (Savoir Lire, Écrire, Compter, Calculer), le GRIP (Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes), Lire-Écrire, etc . 
Je compris que ma « résistance » était celle de nombreux autres enseignants, entrés dans ce métier par amour de leur matière et admiration ...  


Longue citation dans Éducation VS instruction de Michel Delord :

Le poisson rouge, le perrier et l'instruction 

Que juger ? 

[...] le socio-gestionnaire ne revendique pas seulement l'exclusivité de l'appréciation des résultats de l'Ecole ; il veut aussi que ce qu'il y a à apprécier à ce titre soit autre chose que le niveau de connaissances qu'on peut attendre d'un élève moyen à un âge donné ou, à tout le moins, ne soit pas seulement cela. 

Le conflit des facultés, sur cette question, prend d'abord, en général, la forme suivante : instruire ou éduquer ? Toujours peu avare de barbarismes, le socio-gestionnaire a même inventé un vocable pour désigner le par-delà l'éduquer : « socialiser ». 

La plaisanterie est telle que nous ne savons pas bien si ce détournement d'objet plaide en faveur de l'efficacité de l'Ecole : si son but est d'éduquer ou de socialiser, éduque-t-elle ou socialise-t-elle si bien que cela ? Rien n'est moins sûr. Sans parler de la drogue ou de la délinquance [Le problème lui-même, que nous ne méconnaissons pas et n'entendons pas méconnaître, sera abordé au chapitre 4.], il est presque impossible de rencontrer un parent d'élève ordinaire qui ne vous plaigne d'avoir à supporter sa progéniture, tout simplement parce que lui-même a beaucoup de mal à y parvenir. De quoi nous concluons, car l'agitation ou le mauvais comportement des élèves ne nous semble aucunement le problème majeur de l'Ecole, même si ici ou là ils empêchent purement et simplement d'enseigner, que les enfants sont infiniment plus disciplinés, courtois et polis en classe qu'à la maison. 

Toujours est-il que notre adversaire prétend que la mission d'éduquer ou de socialiser est au moins aussi importante que celle d'instruire et la supplante même. « L'école doit (...) oser éduquer », écrit, dans Le Monde du 2 avril 1993, une brochette d'éducateurs. Et ce projet est, en effet, très audacieux, car il consiste à « oser éveiller à la conscience morale », à « oser imposer les règles de la vie commune ». Mais qu'est-ce à dire exactement ? Qu'attend-on de l'instituteur ou du professeur ? Qu'il persuade le bambin ou l'adolescent qu'il faut dire bonjour à sa crémière ou qu'il faut dire du bien de Monsieur le Prieur ? Qu'il faut faire la grève ou qu'il faut dire "merci patron" ? Qu'il faut être mitterrandiste ou qu'il est plus opportun d'être balladurien ? Former des esprits libres, comme le dit le poncif, ce n'est pas, par définition, leur dicter leur conduite, mais leur permettre de la choisir. Hasard ou nécessité, la brochette en question commet, au passage, cet illogisrne : « Comment expliquer raisonnablement à des enfants les interdits fondamentaux du meurtre, de l'inceste ou du vol ? » On pourrait donc expliquer des interdits. Non point : on explique l'accord du participe passé ou le théorème de Pythagore ; on n'explique pas, à proprement parler, ce qu'il faut ou ne faut pas faire. Nous retrouvons ici, comme par hasard, la manie gestionnaire et sociologisante de dériver les normes des faits : il y aurait une morale objective, comme il y a une physique objective et, bien sûr, une sociologie objective ; on la saurait de source sûre, comme ces deux dernières et, partant, il n'y aurait plus qu'à l'enseigner. On sait le nom que porte cette conception : le catéchisme. 

Mais le gestionnaire sociologue ou le sociologue gestionnaire va plus loin encore : il assigne à son audacieux endoctrinement moral une fin sociale : "les qualités de cœur sont tout aussi nécessaires que la raison pour refonder sans cesse, génération après génération, une société solidaire et fraternelle." Ça chaparde un peu partout ; ça rackette ici ou là, ça viole parfois et ça tue à l'occasion ; mais, grâce à l'audace d'éduquer, en disant « tu ne voleras point ; tu ne violeras pas davantage et tu ne tueras surtout pas », nous forgerons, c'est sûr, une société d'où tous ces maux seront éradiqués. De l'art de persuader. 

Si ce discours n'était bouffon, s'il fallait un instant le prendre au sérieux, nous dirions à la brochette ceci : vous confondez, mes bons amis, la cause et la conséquence, ce qui, logiquement, est grave. Il est présumable, en effet, que l'Ecole a un effet moral et social. Tout le monde sait que c'est dans les prisons qu'il y a le plus d'analphabètes. Mais il ne s'agit là que d'un effet, et encore d'un effet seulement probable, statistique si vous y tenez tant : d'une bonne instruction, il y a lieu de penser que la plupart des gens tireront des leçons de sagesse, sans qu'il soit possible d'exclure que tel ou tel utilise ses connaissances en électronique pour pirater des cartes bancaires ou ses connaissances juridiques pour frauder le fisc. Relisez donc, mes beaux Messieurs, le début de L'école des femmes et vous y verrez que vous y jouez le rôle du sot qui n'a pas compris qu'en choisissant une femme instruite au lieu de s'en faire une ignare sur mesure, il aurait pu éviter d'être sot au deuxième sens du terme. Et notez bien que cet effet-là, seulement escomptable, est effet d'instruction et non d'éducation. Vous trouverez confirmation de ce que nous vous disons en allant un peu plus loin dans la pièce : d'éducation, la pauvre Agnès ne manque pas ; elle a appris par cœur, la malheureuse, les ineptes Maximes du mariage, qui ressemblent assez au catéchisme sous lequel vous voulez étouffer l'Ecole. Et pourtant, elle cocufiera son cocu d'importance. En revanche, d'instruction, elle manque totalement. Et c'est tout ingénument, en arguant des règles mêmes qu'on lui a inculquées, qu'elle cocufiera. Remarquez, au passage, combien on apprend plus dans la littérature et la philosophie que dans la littérature pédagogique et la philosophie de même farine. 

Nous ne ferons qu'une concession apparente à la thèse éducative des éducateurs : il est bien vrai que, quand un élève claque la porte trop bruyamment, quand il bouscule le proviseur, quand il prend la parole intempestivement, quand il prétend mâcher du chewing-gum ou écouter son groupe préféré pendant le cours, nous ne l'entendons pas de cette oreille ; mais nous ne chapitrons pas l'intéressé, nous ne lui faisons pas de grands discours sur les interdits fondamentaux, nous ne lui disons pas qu'il en va de l'avenir de la France et de l'Europe; simplement, nous lui faisons comprendre qu'il n'a pas à agir ainsi, qu'une porte doit être ouverte ou fermée et non claquée, qu'il est convenu de laisser passer les grandes personnes et, en particulier, le proviseur, que le chewing-gum empeste et qu'il faut choisir entre la musique du baladeur et celle du cours. En général (mais pas toujours : certains élèves ne savent pas fermer une porte et nous avons dû, l'un et l'autre, donner des cours particuliers sur ce point purement technique), la question est réglée sans autre explication, voire sans explication du tout. C'est tout bonnement que les élèves savent tout cela, même s'ils n'agissent pas en conséquence. C'est Ovide, cette fois, qui nous en apprend plus que toute la technocratie et toute la sociologie du monde : Meliora video proboque ; deteriora sequor. Nous faisons donc bien de la morale, si l'on veut, mais de la vraie, de la morale pratique, sans trémolos ni grandiloquence. 

Nous savons bien que l'Ecole de Jules Ferry elle-même avait institué, dans l'enseignement primaire et même au-delà, des leçons de morale et, par là même, une sorte de catéchisme laïque. Si de cette Ecole nous avions la moindre des nostalgies dont on nous accuse, ce n'est pas là-dessus qu'elle porterait. Qu'on se souvienne un peu des Tigibus et autres La Crique, qui, sitôt les grands principes énoncés, copiés et récités, allaient les bafouer cruellement à l'endroit des Velrans. 

Comme la plus belle fille du monde, l'Ecole ne peut donner que ce qu'elle a, le savoir. Après, et même pendant, c'est au petit bonheur la chance. Un grand lycée parisien a réchauffé dans son sein, nous confiait-on récemment, plusieurs voleurs et au moins un assassin (passionnel heureusement). Et alors ? Les sermons de nos éducateurs l'auraient-ils empêché ? Estimons-nous très heureux que ce lycée, comme tant d'autres, ait produit, en bien plus grand nombre, des hommes et des femmes d'une honnêteté au moins moyenne. Ce sont les mathématiques, la littérature, la philosophie qui y auront contribué. Les prêches européano-moralisants eussent plutôt eu l'effet contraire. Nous avons interviewé André Gide sur la question et il a bien voulu confirmer notre thèse. Nous conclurons donc cet examen de la façon suivante : mesurer l'efficacité de l'Ecole, c'est juger de son pouvoir d'instruire en s'abstenant de tout autre jugement." 

                                         Marie Claude Bartholy, Jean Pierre Despin, 



Commentaire de Cadichon sur Bonnet d'âne dans laquelle il est fait mention du livre : 

« L’élitisme ….plus haute forme de la vraie démocratie ». Condorcet a énoncé cette évidence il y a plus de deux siècles, mais il est bon de la rappeler dans une société qui se vautre depuis 50 ans dans l’égalitarisme, dont je rappelle quant à moi au passage qu’il était le dogme de prédilection des …Jacobins. Condorcet, théoricien de l’école républicaine, était Girondin.
La filiation Girondins-pédagos/Jacobins-républicains ne tient pas plus que la chronologie fantaisiste dont cette note nous remet une nouvelle louche.
« les résultats scolaires ont décliné à partir de 1993 (vrai),… l’élitisme républicain s’est arrêté à partir de 1995 pour être remplacé par un élitisme d’héritiers (vrai). »
Ce n’est pas parce que l’ampleur de la catastrophe a inspiré un déluge de bouquins au début du XXIe siècle qu’il faut faire l’impasse sur l’antériorité du phénomène. Une première vague de protestations avait accueilli la furie pédagauchiste, qui n’a plus connu de limites, avec l’arrivée au pouvoir en 81 de la coalition socialo-communiste.
Si la débâcle n’avait réellement commencé qu’en 1993, et l’ « élitisme d’héritiers » qu’en 1995, comment appeler tous ceux qui ont eu le courage de s’indigner, dix ans plus tôt? des affabulateurs? Ils se sont pourtant manifestés longtemps avant les pleureuses qui se sont contentées de prendre le cortège funéraire en marche.
L’injustice crasse d’une sectorisation qui a pénalisé les plus faibles et que seuls les « héritiers » (au nombre desquels les enfants de profs) on été en mesure de contourner, est, elle aussi, bien antérieure à 95. Idem pour l’imposition de la méthode globale dont les ravages eux aussi furent immédiats.
Camoufler la vraie date de naissance de la débâcle, c’est se faire complice de l’omerta et des mensonges éhontés des Pol Pot grenelliens. Maurice Tariq Maschino cloue au pilori, dans L’École usine à chômeurs, paru en 1992, « ces « pontes et pontifes de la nomenklatura pédagogique (Antoine Prost, Francine Best), plus familiers des antichambres ministérielles que des collèges-dépotoirs de Seine-Saint-Denis ou des Minguettes, dignitaires syndicaux (du SNES, du SGEN), hommes et femmes de terrain, s’il en est!, révolutionnaires de préaux et journalistes bien en cour. L’un d’eux, Jean-Michel Cressandeau, n’a-t-il pas reçu une direction de l’Information rue de Grenelle? »
En 92, Maschino avait pourtant très clairement enfoncé le clou :
« Lorsque, il y a près de dix ans, je dénonçai ce massacre dans des livres qui firent quelque bruit, -Vos enfants ne m’intéressent plus (Hachette littérature, 1983), Voulez vous vraiment des enfants idiots? (ibid. 1984)-, quand d’autres voix lancèrent un cri d’alarme – Jacqueline de Romilly, L’Enseignement en détresse, Jean-Pierre Despin et Marie-Claude Bartholy, Le Poisson rouge dans le Perrier (Critérion, 1983), Michel Jumilhac, Le Massacre des innocents (Plon, 1984), – ce fut un beau tollé. …. Beaucoup s’indignèrent. Ou firent semblant. Non, pas du mal qu’à quelques-uns nous nommions, et qu’ils ne voulaient pas voir, mais du fait que nous osions le nommer; et, à la façon de « ces imbéciles qui regardent le doigt quand le doigt montre la lune », ils scrutèrent notre âme. Qu’ils trouvèrent noire, naturellement- « réactionnaire », »nostalgique », « passéiste », « aigrie ». »
Ajoutons à cette liste Jean-Claude Milner, De L’École (1983), Jean-Pierre Berland, Lycées: État d'urgence » (1989) François Bayrou, La Décennie des mal-appris, (1990), Phlippe Nemo, Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry? ( 1991) Tout ce monde-là aurait menti? Ces oiseaux de mauvais augure aurait seulement proféré des prophéties auto-réalisatrices ?
Pourquoi refuser avec tant d’insistance une antériorité pourtant irréfutable? Serait-ce la survivance d’une vieille solidarité clanique, pour dédouaner les camarades trotskards. L’un d’eux, qui fut ministre de l’EN et Premier ministre, est le Fossoyeur-en-chef de l’école qui instruit.
Cette clique est mouillée jusqu’au cou dans la débâcle scolaire, justement par ces pionniers, dont il est tout aussi vain de nier l’existence.
Inutile aussi de se gargariser de démocratie. Mieux vaut passer de l’incantation à l’action pour se mettre au service de la vérité.
La démocratie exige la transparence, or elle est bien mal en point quand « la première de toutes les forces qui mènent le monde est le mensonge ». (Jean-François Revel, La Connaissance inutile).

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