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dimanche 10 janvier 2016

La vieille école plus démocratique ? (Michel Delord, 20 novembre 2005)

Ce qui est contestable, ce n'est pas l'existence d'inégalités sociales, mais que certains s'en servent pour supprimer toute exigence disciplinaire et toute sélection à l'école publique, ce qui a pour effet d'aggraver encore les inégalités, puisque d'autres inégalités existent en dehors de l'école-même : entre ceux dont les parents peuvent payer une école privée exigeante et ceux qui resteront dans une école publique, ou entre ceux qui auront des relations pour entrer dans le monde du travail et les autres... La logique du gouvernement actuel, qui se réclame de Bourdieu, va justement à son encontre, créant des inégalités supplémentaires. Nos chers ministres peuvent mettre leurs enfants là où il faut, eux." (Reine Margot, Sujet "Fatima moins bien notée que Marianne, par Béatrice Mabilon-Bonfils et François Durpaire", Forum Neoprofs, 10 janvier 2016)
Les inégalités scolaires ne trouvent pas leur source dans une politique ségrégative, mais dans une école qui, parce qu’elle faillit à sa mission, est de moins en moins capable de lutter contre la reproduction sociale.La plus importante des ségrégations est celle qui enferme notamment, par des moyens trop timides, par des pédagogies erratiques et par une illusion de réussite, les élèves de l’éducation prioritaire dans un destin scolaire. (Loys Bonod, À la tête du client... - Quand des sociologues taxent l’école de racisme (La Vie Moderne, 11 janvier 2016)
Les inégalités scolaires perdurent depuis les années 1960 et la mise en place de l’école unique de la République : d’après les calculs réalisés par l’Institut national d’études démographiques (INED) et depuis par la DEPP, le taux d’accès à un bac général, celui qui donne le plus de chances de réussir dans l’enseignement supérieur, était dans les années 1960 de 11 % pour les enfants d’ouvriers et de 56 % pour les enfants de cadres (45 points d’écart). Il s’établit aujourd’hui à 22 % pour les enfants d’ouvriers et à 72 % pour les enfants de cadres (50 points d’écart). (Jean-Pierre Terrail)
En septembre 2008, 58 % des élèves de 2de ont obtenu zéro à une dictée de douze lignes qui n'était que le texte de la dictée du brevet des collèges de l'année 1976... (Michel Renard)


Accusée de tous les maux (ennuyeuse, pas active, inégalitaire) par les réformateurs modernistes depuis longtemps, l'école de la IIIe et de la IVe République s'est vue détruire impitoyablementréforme après réforme, décret après décret,  dès la fin des années 60, dans ses programmes, ses méthodes, ses examens, la formation initiale de ses maîtres... 
L'école primaire d'aujourd'hui (qui commence en 69-70) est bien plus inégalitaire que l'école de la IIIe République et encore plus que celle de la IVe. Quand on sait l'importance qu'ont ces premières années d'enseignement sur le collège, on voit qu'il y a un petit problème de cohérence entre le discours des réformateurs (l'école d'aujourd'hui est plus moderne, plus démocratique que celle d'autrefois) et la vulgaire réalité historique. C'est ce que montre le petit texte de Michel Delord ci-dessous écrit en réponse à ...

En réponse à Sylvain Grandserre qui écrit, en 2005 : "Certains préfèrent les inventer, d'autres répéter ce qui a été fait et qui marchait si bien.... avec ceux qui y arrivaient !!! Comment peut-on avoir déjà oublié qu'au début des années 60, moins d'un jeune sur deux entrait au collège !", je réponds : "M. S. Grandserre, dites-moi si je me trompe, mais vous semblez vouloir dire, sans le dire, ce qui vous permettra ensuite de dire que vous ne vouliez pas le dire, que l'école et les méthodes employées dans cette école étaient élitistes puisque elles ne permettaient, au début des années 60, qu" à moins d'un jeune sur deux d'entrer au collège".

Reprenons : "Au début des années 60, moins d'un jeune sur 2 entrait au collège".

On a heureusement les chiffres :
- pour l'année scolaire 60/61 : 46,4%.
- pour l'année scolaire 61/62 : 47%.
- pour l'année scolaire 62/63 : 55%.

Donc, s'il y a moins de 50% jusqu'en 1962, le cap des 50% est passé en 1962 sans baisse d'exigence des programmes.

Mais poursuivons : en 1969/70, donc avec des élèves qui ont commencé leur scolarité et leur CP en 1964 à l'époque où 80% des élèves sortaient du CP en sachant lire et en connaissant les 4 opérations, qui ont suivi les programmes et méthodes recommandées et en gros stables depuis 1880, le taux de scolarisation varie de 75% à 90% selon les départements.

Donc on peut dire que c'est la "vieille école" et ses vieilles méthodes qui ont effectué depuis les années 1900 où le passage en sixième était de l'ordre de moins de 10% (20 % en 1945) TOUTE la démocratisation de l'enseignement si ce mot a un sens, c'est-à-dire faire accéder à un niveau supérieur de connaissances une part croissante de la population, sans baisse des exigences ni des connaissances requises pour passer en sixième.

Ensuite, mais ces réformes sont préparées bien avant 68 sous l'influence des technocrates du régime, et notamment sous l'influence du mouvement Freinet (voir par exemple la part importante de ce mouvement dans la commission Rouchette), on assiste peut-être à une augmentation du taux de passages en sixième des élèves mais sur la base de deux facteurs qui n'existent pas auparavant :

a) la baisse des exigences :

1) en mathématiques avec les mathématiques modernes dont Prost, un des deux leaders principaux réformes avec Louis Legrand, explique qu'il s'agit d'un allègement des programmes, mais que M. Prost trouve insuffisant (il doit être satisfait des programmes actuels) (Prost, Histoire de l'enseignement, T IV, p 174).

2) en français avec les conséquences de la commission Rouchette dont un des membres, Louis Legrand, explique qu'un des buts de la commission était "des propositions d'allégements sur le programme de grammaire qui, pratiquement, se voyait amputé du programme du CM2." (in Pour une politique démocratique de l'éducation, Louis Legrand, PUF ,1977. Chap. VIII - L'innovation sur les contenus et les méthodes : l'exemple du français à l'école élémentaire) [Louis Legrand persiste dans ses visées liquidatrices d'une école transmettant les savoirs : interview 1999 - MR].

b) l'influence des gestionnaires :

Ils sont affolés par "L'explosion scolaire" (titre du best-seller de Louis Cros au début des années 60) dont ils pensent qu'elle va coûter très cher à cause du "baby boom" et de l'allongement de la scolarité. La solution est pour eux simple : s'il y a plus de liquide à faire passer dans un tuyau scolaire allongé, réduire les coûts signifie accélérer la circulation du liquide en supprimant les redoublements. Et ils sauront s'appuyer, pour réaliser cette volonté draconienne d'économie, sur divers mouvements pédagogiques qui leur apporteront la vaseline théorique pour faire passer leurs réformes.

Je n'insisterai pas non plus sur le fait que les expérimentations faites à l'époque montreront toutes que les "nouvelles pédagogies" non seulement aboutissent à une baisse de niveau mais de plus défavorisent les enfants des classes déjà défavorisées.


Michel Delord

20 novembre 2005
texte cité à 

Pour compléter :
1) Note technique sur la massification, septembre 2004.
2) Seuls 10% allaient au lycée, octobre 2003.
3) Note à propos du texte de Gramsci sur la grammaire, décembre 2005.

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