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samedi 30 mai 2015

L'école et son socle - Eloge de la transmission dans les petites classes et ailleurs, par Magali Gaubert

La revue en ligne Skhole.fr vient de publier ce remarquable article de Magali Gaubert, qui fait écho à l'analyse passionnante de Nathalie Bulle parue dans le même numéro : La fin de l'ère des enseignants, qui aborde le même problème de l'échec de l'école du point de vue de la formation des enseignants.

Magali Gaubert l'aborde sous l'angle des programmes et des méthodes recommandées. La comparaison entre le type d'enseignement recommandé par le socle commun 2015 et l'enseignement disciplinaire des années 1960 est éloquente.
Extrait :

"La construction fine, entrelacée, d’un savoir abstrait peut porter une cohérence intrinsèque

ainsi des quatre opérations dont on recule l’apprentissage, en laissant les élèves construire le sens des situations. Jusqu’aux années soixante, les quatre opérations étaient enseignées simultanément au CP, dans une très grande progressivité. Les opérations, comme les pièces d’un puzzle, prennent sens les unes par rapport aux autres. La mathématicienne Stella Baruk, le professeur Michel Delord recommandent ainsi cet enseignement simultané. 

De même en grammaire, dans les premières propositions de programmes, les notions grammaticales sont étalées (complément du verbe repoussé, distinction entre les compléments du verbe reportée au collège). Avec un début de vision d’ensemble, il est pourtant plus simple d’opérer des distinctions : par comparaison, l’enfant arrive mieux à percevoir verbe, nom et adjectif, après que ces trois notions aient été nommées. Il n'est pas rare qu'il se mette alors en quête de systématisation, et demande à connaître les autres sortes de mots ; le besoin d'abstraction commande d'aller au bout du puzzle, d'en délimiter les contours, de débusquer le panorama tapi au-delà des zooms. La catégorisation n’est pourtant plus un but un soi, la richesse formelle de la langue, l’analyse logique paraissent inutiles, seuls comptent le message, l’intuition, l'impression. Il est alors significatif que les langues à déclinaisons, (allemand, grec, latin) exigeant une analyse, soient volatilisées. 

Le socle se promet de former le jugement, l'esprit critique au-delà des connaissances. Une tête bien pleine n'est certes pas une tête bien faite. Pour autant, la confrontation aux disciplines n'est-elle qu'un inutile détour pour faire advenir le jugement? Plus encore, sans les mots, sans l'analyse, sans l'écrit, comment se construiraient pensée et jugement ? Seraient-t-ils fondés sur la seule « sensibilité », la capacité à « s'indigner » promues par le socle ? Si le sable s'échappe des doigts, l'écrit retient la pensée, permet de la manipuler, dans un va et viens entre ouverture au monde et intériorité. La littérature offre un réservoir de situations complexes à comprendre, de façon distancée, fait se mettre à la place de l'autre à travers la multiplicité des points de vue et des personnages. Ainsi la sensibilité et l'adhésion aux valeurs remplacent le raisonnement ; la vitesse de réaction et l’expression personnelle,  la distance ; l'émotion, l'analyse critique ; l'apprendre à apprendre, l'instruction solide. Pourtant, une instruction  générale, polyvalente, n'est-elle pas plus même de conduire et à une citoyenneté, et à une employabilité, une adaptabilité avec aisance et à-propos, qu'une course à des savoirs-faire bien vite obsolètes ?


La très grande progressivité paraît être oubliée au profit d’un apprentissage plus synthétique, plus globalisant, du coup plus indigeste, qui ne prévient pas les éventuelles difficultés. La progressivité est pourtant la clef des apprentissages formels. 

Les manuels anciens frappent par la décomposition très fine des étapes comparée à nombre de manuels actuels : au lieu de vastes paliers de 10 à 100, enseignement du nombre 10, puis 11, puis 12 ; sur la même page, le nombre étudié est décomposé selon plusieurs opérations, et de petits problèmes ferment la marche. Le nombre est intimement connu sous toutes ses coutures. Numération, calcul, problèmes, sont enseignés simultanément, et non scindés en domaines. 

En grammaire, l’évolution du Bled est caractéristique, et a évolué vers un rassemblement des notions en de grands chapitres au lieu de la très fine décomposition : le Bled qui partait des graphèmes, a évolué vers un enseignement basé sur les sons, avec une foule de graphèmes à retenir pour un seul son, entraînant des confusions. Aujourd’hui il enseigne  « les personnes » , dans un ancien Bled le sujet « tu », puis le sujet « on ». Au sein de chaque page, on remonte les marches qui mènent à l'écrit : travail au niveau des mots, puis de la phrase, puis  rédaction de courtes phrases."


«L'idée que le savoir n'a plus d'importance est le plus grand mythe des pédagogistes»


Jean-Pierre PREVEL/AFP
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Daisy Christodoulou, auteur d'un best-seller au Royaume-Uni qui démonte les mythes pédagogistes à propos d'éducation, analyse la réforme du collège en France. Elle y voit la continuité du préjugé progressiste selon lequel la connaissance serait obsolète.



Daisy Christodoulou est une spécialiste reconnue de l'éducation au Royaume-Uni. Elle a publié en 2014 Seven myths about education, un essai qui a eu un grand retentissement outre-Manche, où elle démonte méticuleusement les méthodes pédagogistes progressistes, et réhabilite l'importance du savoir dans l'apprentissage.

LE FIGAROVOX:Vous avez écrit un livre intitule Sept mythes sur l'éducation aujourd'hui. Quel est selon vous le mythe le plus persistant de l'éducation contemporaine?
DAISY CHRISTODOULOU: Le plus grand mythe contemporain à propos de l'éducation, c'est l'idée que la connaissance n'a plus d'importance. On dit désormais que le savoir-faire a plus d'importance que les savoirs, puisque de toute façon les enfants n'ont pas besoin de savoir des choses qu'ils peuvent à tout instant chercher sur leur smartphone.


Toutes ces justifications de l'abandon de la connaissance sont fausses, parce qu'elles nient la manière dont le cerveau humain fonctionne. La science n'est pas du côté des pédagogues progressistes. La recherche menée ces cinquante dernières années par la psychologie cognitive montre bien combien nous dépendons du savoir stockée dans la mémoire longue pour tous nos procédés mentaux. Au contraire, la «mémoire de travail», celle dont nous nous servons pour aborder l'information nouvelle et l'environnement immédiat, est très limitée. C'est pourquoi il est très important de savoir «par cœur» des choses, même si elles n'ont pas une utilité immédiate. Ainsi, même si tout le monde dispose désormais de calculatrices, il est indispensable de connaitre ses tables de multiplications par cœur. Car après vous serez capable de résoudre des problèmes plus complexes sans avoir à utiliser l'espace limité et précieux de la mémoire de travail pour calculer les tables de multiplication.
Cette vérité se vérifie dans d'autres domaines. Pour saisir le sens d'un nouveau fait historique, il faut avoir en tête un canevas de dates historiques enregistré dans la mémoire longue. La recherche sur les joueurs d'échecs a montré que plus ils retenaient en mémoires les positions précédentes dans leur mémoire longue, meilleurs ils étaient. Plus vous avez de faits enregistrés dans votre mémoire longue, mieux vous êtes à même de comprendre rapidement les nouvelles informations, et de résoudre efficacement les problèmes de la vie quotidienne. Nous adultes, nous oublions à quel point nous sommes dépendants du savoir, et nous surestimons le savoir dont les enfants disposeraient a priori.


Des chercheurs ont même montré que «la mémoire longue était le socle de l'intelligence humaine», et ont défini le fait d'apprendre comme «une transformation de la mémoire longue». Ainsi le prix Nobel Herbert Simon, affirme que «dans chaque domaine exploré par l'esprit humain, un savoir considérable est nécessaire comme préalable à toute pratique d'expert». Il y a un fossé entre ces études scientifiques et le statut octroyé au savoir dans l'establishment de l'éducation, qui dénigre en permanence l'importance du savoir et de la mémoire.
The Economist écrivait au sujet de la réforme du collège en France «l'approche traditionnelle française, de la classe assise en rangs d'oignons est absolument inadaptée à la nature changeante de l'emploi dans l'économie du savoir». Qu'en pensez-vous?
C'est un point de vue asséné sans preuves. Rappelons encore une fois l'importance de la mémoire longue, et la faiblesse de la mémoire de travail. Qu'importe l'économie et le monde dans lesquels nous vivons, nous devons prendre en compte la manière dont nos cerveaux fonctionnent. Que nous formions des élèves à travailler dans la finance internationale ou à labourer des champs, à aimer la littérature ou à changer le monde, nous devons admettre que la mémoire de travail est limitée. Si nous tenons compte de cela, l'approche traditionnelle est pleine d'avantages. Une instruction menée par le professeur est régulièrement recommandée dans les analyses sur les techniques d'éducation. L'explication, l'instruction donnée par le maitre permettent de segmenter le contenu, de façon à ce qu'il soit assimilable dans les limites de la mémoire de travail. Les élèves concentrent leur attention sur la bonne chose. Le problème avec les approches qui mettent l'enfant au centre de l'apprentissage, c'est que les enfants sont vite désorientés, ne comprennent pas les concepts fondamentaux et perdent du temps dans des digressions secondaires. Ce n'est pas un préjugé: étude après étude, on se rend compte des bienfaits d'une approche qui met le maitre au centre du dispositif d'apprentissage.


Faut-il adapter l'éducation à l'économie?
Le marché du travail est en train d'évoluer, c'est une évidence. Le nombre de métiers non-manuels augmente dans l'économie du savoir. Mais les compétences les plus recherchées sont toujours le fait de savoir lire écrire et compter. Ce ne sont pas des compétences nouvelles: l'alphabet et les chiffres sont là depuis longtemps, et nous connaissons très bien la meilleure façon de les enseigner. Ce qui est nouveau, c'est que de plus en plus de gens auront besoin de ces compétences essentielles, et qu'il y aura de moins en moins d'avenir économique pour les analphabètes. C'est pourquoi nous devons désormais faire en sorte que tout le monde ait accès à une éducation qui était auparavant réservée à une élite. Il ne faut pas redéfinir une éducation pour le XXIème siècle, mais tenter de généraliser une éducation autrefois élitiste à tous.
Une des mesures phare de la réforme du collège en France est de mettre en place davantage d' «interdisciplinarité», qui impliquera des «projets» et des «activités» de la part des élèves. Est-ce une façon de fabriquer de meilleurs élèves?
Pas du tout. Le problème de l'interdisciplinarité, c'est qu'elle confond les objectifs et les méthodes. L'objectif de l'éducation, c'est de donner les moyens à l'élève d'appréhender le monde dans sa globalité: l'interdisciplinarité est la fin de l'éducation, pas sa méthode. Faire des «projets» sans fin, ce n'est pas une bonne manière d'enseigner, parce qu'ils impliquent trop d'informations, qui surchargent et saturent la mémoire de travail. Au contraire, enseigner des sujets, permet de décomposer des savoirs complexes dont nous avons besoin pour les enseigner de façon systématique. Je me souviens avoir enseigné un projet interdisciplinaire sur l'histoire du football à des élèves de collège. L'objectif était de combiner histoire, géographie et langue anglaise en un seul projet. Mais le problème c'est que les élèves avaient déjà besoin d'avoir des savoirs dans ces disciplines qu'ils n'avaient pas, et qu'on se refusait à leur enseigner, car l'objectif des leçons était toujours l' «activité» et pas l'acquisition et la consolidation du savoir. Avec les projets interdisciplinaires, le savoir disciplinaire devient l'angle mort de l'éducation. On fait des «projets» sur la réorganisation de la bibliothèque de l'école, des thématiques comme le «voyage» ou l' «identité» où le résultat est un carnet de dessins. Mais avec de telles méthodes, comment être surs que les élèves soient capables de construire une phrase?


Sur le papier, les «projets» peuvent paraître une bonne idée, une façon moderne de préparer les élèves aux problèmes qu'ils rencontreront dans la vie quotidienne. Mais il s'agit d'une erreur logique. Là aussi, la science nous enseigne qu'apprendre une discipline requiert une méthode différente que pratiquer cette discipline.
Le problème des «activités», c'est qu'elles conduisent les élèves à être distrait de l'essentiel. Si on est d'accord pour comprendre l'apprentissage comme une transformation de la mémoire longue, alors la question essentielle devient: comment apprendre aux élèves à mémoriser des informations? Là aussi, il existe une évidence: nous nous souvenons de ce à quoi nous pensons. De ce point de vue, les activités populaires et les projets ont peu d'intérêt. Par exemple, au Royaume-Uni, les inspecteurs d'académie ont conçu une leçon de langue anglaise où l'on invitait les élèves à faire des marionnettes de Roméo et Juliette. C'est très bien si vous voulez apprendre aux élèves à faire des marionnettes. Mais si vous voulez leur apprendre l'anglais, c'est moins efficace, car les élèves passeront leur temps à penser aux mécanismes qui font agir les marionnettes, pas à l'intrigue ou au langage de la pièce. Cela peut paraître un exemple extrême, mais une fois que vous commencez à privilégier les activités sur le savoir, c'est ce qui risque d'arriver.
Est-ce à dire qu'il faille revenir à une école «à l'ancienne»?
Que signifie «à l'ancienne»? Rousseau et Dewey ont écrit leurs thèses pedagogistes il y a longtemps, et je ne défendrai pas pour autant leurs idées! En Angleterre, l'école «à l'ancienne» était loin d'être parfaite. Nous devons évidemment faire en sorte que tous les élèves apprennent, et pas seulement une minorité élitiste. Nous devons essayer de nous améliorer, de faire mieux, et de réformer si nécessaire. Mais les améliorations proposées doivent l'être sur la base d'une recherche sérieuse et actualisée sur la façon dont nous apprenons, et pas sur des présupposés idéologiques ou des clichés de consultant en management à propos de prétendus changements qu'impliquerait le XXIème siècle. Pour moi, tout le tragique de l'éducation contemporaine, c'est qu'il existe une recherche scientifique extrêmement riche sur la manière d'apprendre, qui n'est pas connue ni appliquée dans l'éducation.



source image: compétences clés.eu


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